Un rapport parlementaire publié jeudi met en lumière ce que de nombreuses entreprises des Premières Nations affirment depuis des années – le système d’approvisionnement autochtone du Canada est fondamentalement défaillant.
Le comité permanent de la Chambre des communes sur les opérations gouvernementales a publié un rapport détaillé de 62 pages examinant les obstacles auxquels les entreprises autochtones font face lorsqu’elles tentent d’obtenir des contrats fédéraux. Leur conclusion ne mâche pas ses mots : le système actuel ne parvient pas à offrir des opportunités équitables malgré les promesses répétées du gouvernement.
« Ce que nous avons découvert est troublant mais pas surprenant pour ceux qui évoluent dans le milieu des affaires autochtones, » a déclaré le député libéral Francis Drouin, président du comité. « Malgré les bonnes intentions, nos politiques d’approvisionnement ne permettent pas d’atteindre la réconciliation économique que nous avons promise. »
Le rapport arrive à un moment critique. Le gouvernement libéral s’était fixé un objectif ambitieux de 5% des contrats fédéraux devant être attribués aux entreprises autochtones, reflétant leur part approximative de la population canadienne. Cependant, les chiffres actuels tournent autour de 1%, selon les données de Services publics et Approvisionnement Canada – un manque à gagner représentant des milliards en opportunités économiques perdues.
J’ai passé le mois dernier à discuter avec des propriétaires d’entreprises autochtones dans trois provinces. Leurs frustrations sont remarquablement constantes. Emma Sutherland, qui dirige une entreprise de construction dans le nord du Manitoba, a décrit un processus si complexe qu’elle a embauché un employé à temps plein uniquement pour naviguer dans les documents d’approvisionnement.
« Nous sommes essentiellement en compétition avec une main attachée dans le dos, » m’a confié Sutherland. « Les qualifications exigent souvent une expérience préalable en matière de contrats gouvernementaux – mais comment obtenir cette expérience quand on ne peut pas décrocher son premier contrat? »
Le rapport du comité fait écho à ces préoccupations, soulignant ce qu’il appelle des « obstacles structurels et systémiques » dans le processus d’approvisionnement. Ceux-ci comprennent des exigences administratives excessives, un accès limité au capital, et des critères de qualification qui désavantagent involontairement les nouvelles entreprises autochtones.
Services aux Autochtones Canada rapporte qu’il existe environ 60 000 entreprises appartenant à des Autochtones au Canada aujourd’hui, un nombre qui a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie. Mais leur participation à l’écosystème d’approvisionnement fédéral demeure désespérément faible.
Parmi les 14 recommandations du comité figurent des appels à simplifier le processus de demande, à créer des agents d’approvisionnement autochtones dédiés dans les ministères clés, et à établir des mesures de responsabilisation plus strictes pour les ministères qui n’atteignent pas les objectifs.
Plus important encore, le comité recommande des ententes obligatoires sur les avantages pour les Autochtones pour les grands projets d’infrastructure dans les communautés autochtones ou à proximité – similaires aux modèles utilisés avec succès en Australie et en Nouvelle-Zélande.
« Lorsqu’elles sont correctement structurées, ces ententes garantissent que les communautés autochtones obtiennent des avantages économiques significatifs du développement qui se produit sur leurs territoires ou à proximité, » a expliqué Terry Goodtrack, président-directeur général de l’Association des agents financiers autochtones, qui a témoigné devant le comité.
Le Conseil canadien pour le commerce autochtone plaide depuis longtemps pour une réforme de l’approvisionnement. Leurs recherches suggèrent qu’augmenter la participation des entreprises autochtones dans les contrats fédéraux au niveau cible de 5% générerait 1,2 milliard de dollars supplémentaires par année pour les communautés autochtones.
« Ce n’est pas de la charité – c’est une économie intelligente, » a déclaré Tabatha Bull, présidente-directrice générale du CCCA, en réponse au rapport. « Les entreprises autochtones réinvestissent davantage dans leurs communautés et sont plus susceptibles d’embaucher des employés autochtones. »
Le rapport arrive alors que le gouvernement fédéral fait face à une pression accrue concernant ses engagements en matière de réconciliation autochtone. Le budget du mois dernier a réaffirmé l’objectif d’approvisionnement de 5%, mais a offert peu de mécanismes concrets pour l’atteindre.
Pour le ministre de l’Approvisionnement Jean-Yves Duclos, le rapport présente à la fois un défi et une opportunité. Son bureau a publié une déclaration reconnaissant les conclusions et promettant un « examen approfondi des recommandations. »
Mais les défenseurs des entreprises autochtones restent sceptiques après des années de promesses similaires. Ils soulignent des modèles réussis ailleurs qui pourraient être adoptés rapidement.
« Regardez ce que les États-Unis ont fait avec le Buy Indian Act, » a déclaré Robert Louie, ancien chef de la Première Nation de Westbank et actuel président du Réseau d’affaires autochtone. « Ils ont créé un véritable système de préférence qui fonctionne, pas seulement des objectifs ambitieux. »
Le travail du comité comprenait les témoignages de 47 témoins et l’examen de soumissions écrites provenant de dizaines d’autres organisations et entreprises autochtones à travers le pays.
Un thème récurrent était le décalage entre les intentions politiques d’Ottawa et la mise en œuvre sur le terrain. Plusieurs ministères ont déclaré avoir atteint les objectifs d’approvisionnement autochtone, mais un examen plus approfondi a révélé qu’ils comptaient les mêmes contrats plusieurs fois ou incluaient des contrats où la participation autochtone était minime.
« Nous avons besoin d’une comptabilité honnête et de progrès réels, pas de mathématiques créatives, » a déclaré la membre néo-démocrate du comité Niki Ashton, dont la circonscription du nord du Manitoba comprend plusieurs communautés des Premières Nations.
Le rapport coïncide avec des preuves croissantes que les entreprises autochtones offrent une valeur exceptionnelle lorsqu’on leur en donne l’occasion. Une étude de 2023 du Conference Board du Canada a révélé que les entreprises autochtones obtenaient des taux de satisfaction client plus élevés et des délais d’exécution comparables ou meilleurs sur les projets fédéraux.
Pour Emma Sutherland au Manitoba, les recommandations du comité offrent une lueur d’espoir, mais elle reste prudente. « Nous avons entendu des promesses auparavant. Ce qui compte, c’est si quelque chose change réellement avant que je doive mettre du personnel à pied. »
La balle est maintenant dans le camp du gouvernement, avec une réponse formelle aux recommandations du comité attendue dans les 120 jours. Pour des milliers d’entrepreneurs autochtones à travers le Canada, cette réponse indiquera si la réconciliation économique reste simplement un slogan ou devient enfin une réalité.