Debout à la réception du cabinet de médecine familiale de la Dre Nora Chen dans l’est de Vancouver, j’observe Arjun Singh, un développeur de logiciels de 46 ans, qui feuillette une brochure sur le dépistage du cancer. « Mon père est mort d’un cancer du côlon à 62 ans, » me confie-t-il doucement. « Mais je ne sais pas quand je devrais commencer à me faire dépister. Différents médecins m’ont dit des choses différentes. »
Cette confusion n’est pas propre à Arjun. Partout au Canada, les patients et les médecins naviguent dans un ensemble disparate de recommandations de dépistage qui varient selon les provinces et contredisent parfois les directives nationales. Le mois dernier, un groupe d’experts indépendants a remis un rapport cinglant à l’Agence de la santé publique du Canada, appelant à une refonte complète de la façon dont les directives de dépistage sont élaborées et communiquées.
Le rapport de 217 pages du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs a mis en évidence comment notre système actuel laisse les populations vulnérables mal desservies et crée une anxiété inutile pour d’autres par le biais d’un sur-dépistage. La Dre Chen, qui m’a permis d’observer sa pratique pour cet article, constate ces lacunes de première main.
« J’ai des patients qui s’inquiètent énormément du cancer, exigeant des tests dont ils n’ont pas besoin, tandis que d’autres qui ont vraiment besoin d’un dépistage passent entre les mailles du filet parce qu’ils font face à des obstacles que nous n’avons pas abordés, » explique-t-elle, entre deux rendez-vous.
Le rapport du groupe d’étude révèle des statistiques troublantes. Malgré des décennies de programmes de dépistage, le cancer reste la principale cause de décès au Canada, avec plus de 85 000 Canadiens qui meurent de diverses formes de la maladie chaque année, selon Statistique Canada. Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est la façon dont les taux de dépistage chutent considérablement dans les communautés autochtones, chez les nouveaux immigrants et les personnes vivant dans la pauvreté.
« Ce que nous voyons, c’est un système qui fonctionne raisonnablement bien pour les Canadiens de classe moyenne, urbains, qui parlent anglais ou français et qui ont des horaires de travail flexibles, » explique la Dre Ainsley Matthews, oncologue à BC Cancer, qui n’a pas participé au rapport mais l’a examiné pour cet article. « Pour tous les autres, nous échouons. »
Lors de ma visite au centre de santé de la Nation Heiltsuk à Bella Bella l’hiver dernier, l’infirmière praticienne Jessie Williams m’a montré un calendrier où le personnel suit les membres de la communauté qui doivent se faire dépister. « Nous avons créé notre propre système parce que celui de la province ne fonctionne pas pour les communautés éloignées, » m’a-t-elle dit. « Quand l’unité mobile de mammographie vient une fois par an, nous fermons pratiquement la communauté pour que tout le monde puisse y aller. »
Le groupe d’étude recommande d’établir un Centre canadien permanent et indépendant pour les données probantes en santé qui normaliserait les directives de dépistage à l’échelle nationale tout en permettant des adaptations régionales basées sur les besoins de la population. Mais peut-être le plus révolutionnaire est leur appel à un changement fondamental dans notre façon d’aborder les conversations sur le dépistage.
« Pendant trop longtemps, nous avons traité le dépistage du cancer comme une décision simple de oui ou non, » explique le Dr Brett Thombs, qui a présidé le groupe d’étude. « En réalité, il devrait s’agir d’une discussion nuancée sur les avantages et les inconvénients potentiels, individualisée selon les risques, les valeurs et les circonstances de chaque personne. »
Cette approche, appelée prise de décision partagée, représente un écart significatif par rapport à des décennies de messages de santé publique qui présentaient le dépistage du cancer comme un bien incontestable. La science raconte une histoire plus complexe.
Prenons le dépistage mammographique pour le cancer du sein. Bien qu’il réduise la mortalité dans certains groupes d’âge, il conduit également à un surdiagnostic significatif – la détection de cancers qui n’auraient jamais causé de symptômes au cours de la vie d’une personne. Qualité des services de santé Ontario estime que pour 1 000 femmes dépistées régulièrement sur 10 ans, seulement 1 à 2 décès par cancer du sein sont évités, tandis qu’environ 10 femmes subissent un traitement pour des cancers qui n’auraient jamais menacé leur vie.
« Nous avons eu peur d’avoir des conversations honnêtes sur les limites du dépistage, » dit la Dre Chen. « Les patients méritent de meilleures informations pour faire des choix véritablement éclairés. »
Le rapport appelle également à des approches culturellement appropriées qui abordent la méfiance historique envers les systèmes médicaux. Lors de ma visite à la Société des services aux immigrants de la Colombie-Britannique le mois dernier, la navigatrice de santé Mei Lin a décrit la création d’ateliers de dépistage du cancer spécifiquement pour les communautés de nouveaux arrivants.
« Beaucoup de nos clients viennent de pays où les soins préventifs n’existent pas, ou où le cancer est considéré comme une condamnation à mort, » a expliqué Lin. « Nous ne nous contentons pas de traduire les informations médicales – nous les contextualisons dans leur compréhension culturelle de la santé et de la maladie. »
Les barrières financières empêchent également de nombreux Canadiens d’accéder au dépistage. Bien que les tests eux-mêmes soient couverts par les régimes de santé provinciaux, beaucoup font face à des coûts indirects. Jacqueline Dumont, mère célibataire que j’ai rencontrée dans un centre de santé communautaire dans l’est de Vancouver, a décrit avoir manqué trois rendez-vous de mammographie parce qu’elle ne pouvait pas se permettre de faire garder ses enfants ou de prendre congé de son emploi rémunéré à l’heure.
« Chaque fois que je manque le travail, ce sont des épiceries que nous n’avons pas, » m’a-t-elle dit. « Je sais que le dépistage est important, mais nourrir mes enfants passe en premier. »
Le groupe d’étude recommande d’élargir les options de dépistage en soirée et le week-end, une aide au transport et un soutien pour la garde d’enfants afin de surmonter ces obstacles pratiques. Ils appellent également à une meilleure intégration des soins primaires et des programmes de dépistage pour atteindre ceux qui n’ont pas de fournisseurs de soins de santé réguliers.
La mise en œuvre de ces recommandations ne sera ni simple ni bon marché. Le rapport estime les coûts initiaux entre 45 et 60 millions de dollars par an pour établir le nouveau centre de données probantes et réformer les programmes de dépistage. Cependant, les partisans soutiennent que les économies à long terme résultant de la réduction du surtraitement et d’une détection précoce plus efficace permettraient finalement d’économiser de l’argent au système de santé.
En terminant ma conversation avec Arjun Singh dans la salle d’attente de la Dre Chen, il me dit qu’il a décidé de se faire dépister en raison de ses antécédents familiaux, bien qu’il soit plus jeune que l’âge standard recommandé. « J’aimerais que le système rende cela plus clair, » dit-il. « Il ne devrait pas falloir perdre un parent à cause du cancer pour comprendre quels soins vous avez besoin. »
Ce sentiment capture l’essence du message du groupe d’étude : le Canada a besoin d’un dépistage du cancer qui répond aux circonstances individuelles dans un cadre national cohérent. La question maintenant est de savoir si notre système de santé fragmenté peut concrétiser cette vision de prévention du cancer personnalisée mais équitable.