L’air matinal de Mexico portait un certain poids diplomatique lorsque le ministre canadien de l’Industrie François-Philippe Champagne et la ministre de la Défense Anita Anand ont entamé des réunions avec leurs homologues mexicains cette semaine. Leur visite représente bien plus qu’une simple diplomatie de routine—elle marque un recalibrage stratégique des partenariats nord-américains à une époque où la coopération régionale fait face à des pressions sans précédent.
« Ce que nous observons est un renforcement délibéré de l’axe Canada-Mexique, » a expliqué Champagne lors d’un bref échange entre les sessions. « Pendant trop longtemps, nos deux nations ont principalement envisagé leur relation à travers le prisme américain. Aujourd’hui, nous construisons des canaux directs qui servent nos intérêts communs. »
Le moment ne pourrait être plus significatif. Alors que les États-Unis entrent dans une année électorale et que les tensions commerciales s’intensifient sur le continent, le Canada a intensifié ses efforts pour diversifier ses relations diplomatiques et économiques. Le Mexique, avec sa base manufacturière croissante et sa position stratégique, représente un partenaire naturel dans ce recalibrage.
La présence de la ministre de la Défense Anand aux côtés de Champagne souligne la nature multidimensionnelle de cette initiative diplomatique. La coopération en matière de sécurité, historiquement une composante mineure des relations canado-mexicaines, est devenue un domaine prioritaire. Selon des responsables d’Affaires mondiales Canada, les discussions ont porté sur l’élargissement des échanges de formation militaire et la coordination des approches face aux défis sécuritaires régionaux, notamment les réseaux de crime organisé qui opèrent à travers les frontières nord-américaines.
Les dimensions économiques de la visite étaient tout aussi substantielles. Les échanges commerciaux bilatéraux entre le Canada et le Mexique ont atteint environ 41 milliards de dollars en 2023, selon les données de Statistique Canada—un chiffre que les deux nations estiment pouvoir augmenter considérablement. La secrétaire mexicaine à l’Économie, Raquel Buenrostro, a particulièrement souligné les opportunités dans les minéraux critiques, l’aérospatiale et la technologie agricole lors des réunions ministérielles.
« Nous regardons au-delà du simple échange de marchandises, » a souligné Champagne. « L’avenir réside dans des chaînes d’approvisionnement intégrées qui tirent parti de la capacité manufacturière mexicaine et de l’innovation canadienne. » Cette approche s’aligne avec le désir des deux pays de réduire leur dépendance aux importations asiatiques—particulièrement de la Chine—et de renforcer la résilience industrielle nord-américaine.
À huis clos, des sources familières avec les discussions ont révélé que les défis de mise en œuvre de l’ACEUM constituaient une partie substantielle de l’ordre du jour. L’accord commercial, qui fera l’objet de sa première révision formelle en 2026, a été source de frictions, les trois nations ayant soulevé des préoccupations concernant le respect par leurs partenaires de diverses dispositions.
Les politiques énergétiques du président mexicain Andrés Manuel López Obrador inquiètent particulièrement les investisseurs canadiens, qui ont engagé plus de 13 milliards de dollars dans le secteur énergétique mexicain. Les responsables canadiens auraient plaidé pour une plus grande certitude réglementaire tout en offrant une coopération technique sur l’intégration des énergies renouvelables—un délicat exercice d’équilibre entre fermeté et collaboration.
Les réunions ministérielles se sont déroulées dans un contexte de dynamiques régionales en évolution. Le Centre pour l’innovation en gouvernance internationale a récemment publié une analyse suggérant que le Canada et le Mexique disposent d’un potentiel inexploité d’alignement stratégique sur des questions où ils se trouvent parfois en désaccord avec Washington. La mise en œuvre des politiques climatiques, les approches de gestion migratoire et les règles du commerce numérique ont été citées comme des domaines où Ottawa et Mexico pourraient trouver un terrain d’entente.
« Quand le Canada et le Mexique parlent d’une seule voix, cela change la conversation nord-américaine, » a noté Dre Elena Sanchez, experte en relations internationales basée à Mexico avec qui j’ai parlé après la conférence de presse ministérielle. « Historiquement, les deux nations ont plutôt rivalisé pour l’attention américaine au lieu de coordonner leurs positions. »
Cette initiative diplomatique s’étend au-delà des contacts gouvernementaux. Le ministre Champagne a rencontré des représentants de la présence commerciale substantielle du Canada au Mexique, qui comprend des acteurs majeurs dans les secteurs minier, bancaire et des infrastructures. Des entreprises comme la Banque Scotia et Bombardier ont établi des racines profondes sur le marché mexicain, créant un pont commercial qui complète les canaux diplomatiques formels.
La secrétaire mexicaine aux Affaires étrangères Alicia Bárcena a qualifié les discussions de « franches et productives, » une formulation diplomatique qui reconnaît généralement à la fois les accords et les différences persistantes. La sécurité frontalière, les politiques de visas et la mobilité de la main-d’œuvre restent des questions complexes qui résistent à une résolution facile, selon des responsables ministériels qui se sont exprimés sous condition d’anonymat.
Ce qui rend cette initiative diplomatique particulièrement remarquable est son contraste avec les schémas antérieurs des relations nord-américaines. Traditionnellement, le Canada et le Mexique ont privilégié leurs relations bilatérales séparées avec les États-Unis plutôt qu’un engagement direct entre eux. L’intensification des contacts ministériels suggère une dynamique trilatérale qui mûrit, où chaque relation bilatérale repose sur ses propres mérites.
La visite a inclus des discussions sur l’expansion des échanges éducatifs et des programmes culturels—des initiatives de soft power qui établissent des connexions entre les peuples. Actuellement, plus de 5 000 étudiants mexicains étudient dans des établissements canadiens chaque année, tandis que le tourisme canadien au Mexique a retrouvé ses niveaux d’avant la pandémie, selon les récents chiffres de l’autorité touristique mexicaine.
Alors que Champagne et Anand concluaient leurs réunions et se préparaient à retourner à Ottawa, les résultats concrets restaient quelque peu modestes—des accords pour établir des groupes de travail, des engagements pour des visites ministérielles de suivi, et des déclarations de principes partagés. Pourtant, l’importance symbolique de cet investissement diplomatique ne devrait pas être sous-estimée.
Dans la chorégraphie complexe de l’intégration nord-américaine, le Canada et le Mexique démontrent une reconnaissance croissante que leur relation mérite une attention à part entière—pas simplement comme une dimension secondaire de leurs liens respectifs avec les États-Unis. Comme me l’a confié un diplomate canadien au départ de la délégation : « Nous traitons enfin cette relation avec l’importance stratégique qu’elle mérite. »