Lorsqu’Ottawa a annoncé qu’il rembourserait les paiements de la taxe sur les services numériques (TSN) suite au nouvel accord fiscal mondial, de nombreuses entreprises technologiques ont poussé un soupir de soulagement. Ce soulagement pourrait être prématuré, car l’Agence du revenu du Canada a révélé hier qu’elle ne peut pas traiter ces remboursements promis sans une nouvelle législation.
L’annonce de l’ARC est survenue lors d’une séance d’information technique où les responsables ont expliqué que le Parlement doit adopter une loi spécifique autorisant le retour des fonds perçus—un processus qui pourrait prendre des mois compte tenu du calendrier législatif actuel.
« Nous avons besoin d’une autorisation statutaire claire pour émettre des remboursements pour des taxes légalement perçues, » a expliqué Sarah Mortimer, commissaire adjointe de la Direction des enquêtes internationales, des grandes entreprises et des enquêtes de l’ARC. « Ce n’est pas une question de discrétion administrative; cela nécessite une action parlementaire. »
La taxe sur les services numériques, entrée en vigueur en janvier, impose un prélèvement de 3 % sur les revenus générés par les principales plateformes technologiques opérant au Canada. Des entreprises comme Google, Amazon et Meta ont déjà effectué des paiements trimestriels totalisant environ 240 millions de dollars, selon les estimations de Finances Canada.
Le Canada a mis en œuvre la TSN tout en adhérant simultanément au nouveau cadre d’imposition minimale mondiale des sociétés de l’OCDE—une position apparemment contradictoire qui a semé la confusion dans le milieu des affaires. Lorsque l’accord international a été finalisé en avril, la ministre des Finances Chrystia Freeland a annoncé que les paiements de TSN seraient remboursés, qualifiant cela de « chose juste à faire. »
Les mécanismes de cette promesse semblent toutefois plus compliqués que ce qui avait été initialement suggéré.
« C’est un peu comme promettre de rendre quelque chose pour lequel on n’a pas encore l’autorisation légale, » explique Heather Walsh, directrice des politiques fiscales à la Chambre de commerce du Canada. « Les entreprises ont effectué ces paiements de bonne foi, mais elles se retrouvent maintenant dans un flou législatif. »
Des sources gouvernementales s’exprimant sous couvert d’anonymat indiquent qu’un projet de loi est en préparation, mais qu’il fait face à un programme parlementaire chargé. Avec l’approche de la pause estivale et l’intensification des spéculations sur les élections d’automne, le calendrier d’adoption reste incertain.
Pour les entreprises concernées, ce délai crée des défis de planification financière. Meta Canada avait précédemment annoncé qu’elle intégrerait le remboursement attendu—environ 35 millions de dollars pour leur paiement du premier trimestre—dans leur stratégie d’investissement canadienne pour 2026.
« L’incertitude concernant le calendrier de ces remboursements a de véritables implications commerciales, » note Richard Wong, analyste du secteur technologique chez RBC Marchés des Capitaux. « Les entreprises ont pris des décisions budgétaires en supposant que ces fonds reviendraient dans leurs bilans d’ici la fin de l’année. »
Cette situation met en lumière l’interaction complexe entre la politique fiscale nationale et les accords internationaux. La TSN du Canada a été conçue comme une mesure temporaire jusqu’à ce que le cadre de l’OCDE entre en vigueur, mais la mise en œuvre qui se chevauche a créé des complications administratives.
Les experts fiscaux suggèrent que la situation représente un problème plus profond dans la façon dont la fiscalité de l’économie numérique est abordée. « Nous essayons d’adapter des concepts fiscaux centenaires à l’économie numérique, » explique Miyo Chen, professeure de droit fiscal à l’Université York. « Le problème des remboursements n’est qu’un symptôme d’un système qui peine à suivre la façon dont la valeur est créée à l’ère numérique. »
Pour les petites entreprises technologiques canadiennes touchées par la TSN, ce délai est particulièrement problématique. Shopify, basée à Toronto, qui atteint à peine le seuil de revenus pour cette taxe, aurait mis de côté 18 millions de dollars pour les paiements de TSN en attendant des précisions sur les remboursements.
« Pour les entreprises en phase de croissance, c’est du capital qui pourrait être déployé pour l’innovation ou l’acquisition de talents, » affirme Vass Bednar, directrice exécutive du programme de maîtrise en politique publique dans la société numérique de l’Université McMaster. « L’incertitude administrative aggrave les défis concurrentiels auxquels elles font déjà face. »
Le ministère des Finances maintient que l’engagement de remboursement reste ferme, malgré les obstacles législatifs. « La position de la ministre n’a pas changé, » a déclaré le porte-parole du ministère, Jacob Robertson. « Nous travaillons avec nos collègues parlementaires pour faire avancer rapidement la législation nécessaire. »
Les groupes industriels ont demandé des suspensions temporaires de paiement pendant que le processus législatif se déroule, mais l’ARC a indiqué hier que la perception se poursuivra comme prévu jusqu’à ce que le Parlement en décide autrement.
Cette situation représente un nouveau chapitre dans l’effort mondial continu pour taxer équitablement les modèles d’affaires numériques—un processus qui s’est avéré ni simple ni rapide. Alors que le Canada navigue dans cette complexité, les entreprises concernées doivent continuer à effectuer des paiements trimestriels de TSN tout en attendant que le Parlement crée la voie légale pour leur retour éventuel.
L’affaire est maintenant transmise au Comité des finances de la Chambre des communes, qui devrait examiner la question lorsque le Parlement reviendra de sa pause de la fête du Canada la semaine prochaine. La question de savoir si une résolution interviendra avant la fin de l’année reste ouverte—avec des implications financières importantes pour les géants technologiques mondiaux qui se sont adaptés à contrecœur au régime fiscal numérique du Canada.