Lorsque le transporteur canadien aux couleurs bleu ciel a annoncé hier sa grande commande chez Boeing, l’histoire ne se limitait pas à l’acquisition de nouveaux avions rutilants. Pour WestJet, cette commande de 67 appareils représente quelque chose de bien plus significatif : un pari stratégique sur les tendances post-pandémiques du voyage qui pourrait remodeler le paysage aérien canadien pour les années à venir.
La compagnie aérienne basée à Calgary a révélé son plan massif de renouvellement de flotte, évalué à environ 12,5 milliards de dollars selon les prix catalogue, bien que les transporteurs négocient généralement des rabais substantiels sur de telles commandes. Le forfait comprend 42 Boeing 737 MAX 10 et 25 Boeing 787-10 Dreamliner, avec des livraisons prévues entre 2028 et 2035.
« Cet investissement témoigne de notre confiance dans la demande de voyage à long terme et notre engagement à développer notre réseau de façon responsable, » a déclaré Alexis von Hoensbroech, PDG de WestJet, lors d’une conférence de presse au siège social de la compagnie à Calgary. « Nous ne remplaçons pas simplement des avions – nous nous positionnons pour concurrencer plus efficacement sur les routes internationales tout en maintenant notre avantage en matière de coûts. »
Ce qui rend cette annonce particulièrement remarquable, c’est son timing. L’industrie aérienne continue de naviguer dans des schémas de reprise turbulents après les ravages de la pandémie. Les données de Statistique Canada montrent que les voyages aériens intérieurs ont largement rebondi aux niveaux pré-pandémiques, mais les routes internationales restent environ 15% en dessous des chiffres de 2019.
Le renouvellement de la flotte de WestJet survient après son acquisition par Onex Corporation en 2019 pour 5 milliards de dollars, une transaction qui a privatisé la compagnie et fourni un soutien financier pour une expansion ambitieuse. La commande arrive également au milieu de défis continus pour Boeing, qui a fait face à des problèmes de fabrication, des retards de certification et des préoccupations de sécurité dans plusieurs programmes d’aéronefs.
Robert Kokonis, président d’AirTrav Inc. et analyste de l’industrie, voit un raisonnement calculé derrière l’engagement de WestJet envers Boeing. « Ils misent davantage sur l’homogénéité de leur flotte existante avec Boeing, ce qui offre des efficacités opérationnelles tout en assurant des prix attrayants étant donné l’empressement de Boeing à reconstituer son carnet de commandes, » a expliqué Kokonis lors d’une entrevue téléphonique.
La variante MAX 10, le plus grand avion monocouloir de Boeing, peut accueillir jusqu’à 230 passagers et offre une efficacité énergétique d’environ 20% supérieure aux 737 de génération précédente. Pendant ce temps, le 787-10 Dreamliner représente la poussée continue de WestJet sur le marché des gros-porteurs, élargissant sa capacité pour des routes internationales plus longues vers l’Europe et potentiellement l’Asie.
Pour les voyageurs ordinaires, ce renouvellement de flotte promet plusieurs avantages au-delà des promesses marketing de la compagnie concernant un confort amélioré. Les nouveaux appareils disposeront de conceptions de cabine actualisées, d’une meilleure efficacité énergétique (tempérant potentiellement les futures augmentations de tarifs) et d’options de routes élargies depuis les plaques tournantes croissantes de WestJet.
Cette commande positionne WestJet sur une trajectoire divergente de celle d’Air Canada, qui exploite une flotte mixte Boeing et Airbus. Air Canada a récemment élargi son carnet de commandes d’Airbus A220, fabriqués en partie au Québec, soulignant comment les deux plus grands transporteurs du Canada poursuivent différentes stratégies de flotte.
Au-delà des implications commerciales, l’impact environnemental mérite un examen minutieux. WestJet a souligné les gains d’efficacité énergétique, les nouveaux appareils devant réduire les émissions jusqu’à 25% par siège par rapport aux générations précédentes. Cependant, des groupes environnementaux comme Transport & Environnement ont remis en question si les améliorations d’efficacité peuvent compenser la croissance globale des émissions de l’aviation.
« Les compagnies aériennes adorent souligner les améliorations d’efficacité, mais elles augmentent simultanément leur capacité, » a noté Amanda Maxwell de Clean Air Canada. « L’effet environnemental net dépend de si ces nouveaux avions remplacent vraiment d’anciens appareils ou s’ils s’ajoutent simplement à des flottes croissantes. »
Pour les communautés canadiennes, particulièrement dans l’Ouest canadien où WestJet maintient sa présence la plus forte, l’expansion de la flotte suggère un développement continu du service. Le transporteur a indiqué qu’il déploierait les nouveaux appareils sur des routes existantes et de nouvelles destinations, augmentant potentiellement la connectivité pour les marchés mal desservis.
Les retombées économiques s’étendent au-delà des opérations de WestJet. La chaîne d’approvisionnement canadienne de Boeing comprend environ 500 fournisseurs, soutenant environ 14 000 emplois canadiens selon les rapports d’impact économique du fabricant aérospatial. Bien que l’assemblage final ait lieu aux États-Unis, des entreprises aérospatiales canadiennes comme Héroux-Devtek et CAE contribuent avec des composants et des services à l’écosystème de production de Boeing.
Ce renouvellement de flotte soulève également des questions sur le paysage concurrentiel de l’aviation canadienne. Avec WestJet renforçant ses capacités long-courrier, la division traditionnelle entre les deux principaux transporteurs – Air Canada dominant les routes internationales tandis que WestJet se concentrait sur les marchés intérieurs et transfrontaliers – continue de s’estomper.
La consultante en aviation Helane Becker de TD Cowen note que cela signale les ambitions de WestJet. « Ce n’est pas juste un renouvellement de flotte – c’est une déclaration concurrentielle. WestJet dit au marché qu’ils s’engagent à être un transporteur de réseau complet avec des aspirations mondiales, pas seulement un opérateur à bas coût de point à point. »
Pour les investisseurs qui surveillent le secteur de l’aviation canadienne, cette énorme dépense en capital représente à la fois une opportunité et un risque. Les renouvellements de flotte mettent généralement à rude épreuve les finances des compagnies aériennes pendant les périodes de livraison, mais peuvent générer des économies opérationnelles et des opportunités de revenus une fois mis en œuvre.
Lorsque les voyageurs réservent leurs prochains vols, ils pourraient ne pas voir immédiatement l’impact de l’annonce d’hier. Mais d’ici la fin de la décennie, le paysage de l’aviation canadienne aura probablement un aspect substantiellement différent, façonné en partie par les décisions annoncées lors de cette conférence de presse à Calgary.
Pour WestJet, les années à venir détermineront si ce pari de plusieurs milliards de dollars sur Boeing leur apportera l’avantage concurrentiel qu’ils recherchent dans un ciel de plus en plus encombré.