Les derniers chiffres économiques brossent un tableau inattendu de la trajectoire de reprise du Canada, et ce n’est pas l’histoire axée sur la technologie à laquelle plusieurs s’attendaient.
Lorsque Statistique Canada a publié les chiffres du PIB de ce trimestre, affichant une croissance annualisée de 3,1 %, les économistes se sont empressés d’expliquer ce qui semblait être une anomalie statistique. Après trois trimestres de quasi-stagnation, l’économie canadienne a soudainement retrouvé son aplomb – mais les moteurs de ce rebond révèlent quelque chose de fascinant sur notre moment économique actuel.
Les dépenses en défense et la construction résidentielle se sont imposées comme les deux moteurs de la relance économique canadienne. Les initiatives d’approvisionnement accélérées du ministère de la Défense nationale ont injecté près de 3,8 milliards de dollars dans la fabrication et les services, tandis que les mises en chantier ont bondi de 18 % par rapport au trimestre précédent.
« Nous assistons à un renversement complet des modèles d’investissement de 2023, » explique Heather McKenzie, économiste en chef à la Banque Royale du Canada. « L’accent mis l’an dernier sur la tech et l’économie du savoir a cédé la place à ce que j’appellerais ‘l’économie du concret’ – littéralement des briques, du mortier et du matériel militaire. »
Ce virage survient à un moment curieux. Alors que le secteur technologique américain poursuit sa course haussière, le Canada semble tracer une voie différente, s’appuyant sur des moteurs économiques traditionnels que de nombreux analystes avaient écartés comme secteurs de croissance.
Derrière les chiffres se cache une histoire complexe de réponses politiques et de positionnement mondial. Les engagements du gouvernement fédéral en matière de défense envers l’OTAN ont accéléré les calendriers de dépenses, créant une activité économique immédiate. Parallèlement, la poussée du logement représente à la fois une réponse à la crise et un investissement stratégique.
« Ce ne sont pas que des chiffres sur une feuille de calcul, » affirme Jacques Tremblay, qui dirige l’équipe d’investissement en infrastructure chez Desjardins. « Quand on coule du béton pour des installations militaires à Cold Lake ou qu’on construit des maisons à Mississauga, on crée des emplois qui ne peuvent pas être délocalisés et qui nécessitent des matériaux locaux. »
En se promenant dans le quartier Liberté Village de Toronto la semaine dernière, les preuves étaient visibles partout. Les grues de construction parsèment l’horizon tandis que les installations manufacturières en périphérie de la ville ont été reconverties pour soutenir des contrats militaires allant des systèmes de communication avancés aux composants de véhicules.
La Banque du Canada a réagi avec un optimisme prudent. Dans son dernier rapport sur la politique monétaire, elle a noté que cette croissance représente « une création d’actifs tangibles plutôt qu’une expansion axée sur la consommation, » suggérant qu’elle la considère comme potentiellement plus durable que les modèles de reprise précédents.
Pour les Canadiens ordinaires, ce rebond se manifeste de façon surprenante. L’emploi dans les métiers et la fabrication a bondi de 4,2 % sur douze mois, créant des opportunités pour les travailleurs sans diplômes avancés. La croissance des salaires dans ces secteurs a dépassé l’inflation pour la première fois depuis 2019.
Michael Sabia, sous-ministre des Finances, a souligné lors de la conférence sur les perspectives économiques de la semaine dernière que « ce modèle de croissance distribue les bénéfices économiques différemment qu’une expansion centrée sur la technologie. » La répartition géographique des bénéfices s’étend au-delà de Toronto, Montréal et Vancouver vers des centres manufacturiers régionaux plus petits.
Les critiques, cependant, remettent en question la durabilité d’une reprise construite sur ces fondations. Alexandre Leclerc du Forum d’économie progressiste souligne que « les dépenses de défense ne créent pas les mêmes retombées d’innovation que les secteurs à forte intensité de recherche, » et s’inquiète des implications à long terme sur la productivité.
La composante logement apporte ses propres contradictions. Bien que la construction stimule les chiffres du PIB, la crise persistante d’abordabilité continue de peser sur les finances des ménages. Le prix moyen d’un logement dans les grands centres urbains reste 8,7 fois supérieur au revenu médian des ménages, bien au-dessus des normes historiques.
Les facteurs mondiaux jouent également dans ce récit économique. Les tensions géopolitiques croissantes ont incité les membres de l’OTAN, y compris le Canada, à accélérer leurs engagements en matière de défense. Pendant ce temps, les objectifs d’immigration ont maintenu la pression pour l’expansion du logement malgré des taux d’intérêt élevés qui refroidiraient normalement la construction.
Ce qui rend cette reprise particulièrement intéressante, c’est son contraste avec les cycles précédents. Plutôt que d’être menée par l’extraction des ressources ou les services financiers – moteurs économiques historiques canadiens – cette croissance se concentre sur l’infrastructure physique et les priorités de sécurité.
« Nous construisons essentiellement une résilience nationale, » explique Samira Bégin, directrice au Centre des alternatives politiques. « Intentionnellement ou non, le Canada investit dans des actifs tangibles en période d’incertitude mondiale. »
La question qui se pose maintenant aux décideurs est de savoir s’il faut s’appuyer sur ce modèle ou tenter de diversifier. Le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, a récemment signalé son soutien à cette approche équilibrée, annonçant de nouvelles initiatives pour renforcer la fabrication nationale tout en maintenant les engagements envers le développement de l’économie numérique.
Pour les investisseurs et les chefs d’entreprise, le message est clair : le paysage économique canadien change. Les entreprises positionnées à l’intersection de l’infrastructure physique, de la sécurité et de la durabilité pourraient bénéficier de vents favorables inattendus.
À l’approche de l’hiver et du ralentissement naturel de la construction, les économistes surveilleront attentivement si cet élan se maintient. Les contrats de défense s’étendent généralement sur plusieurs trimestres, assurant une certaine stabilité, mais le logement reste vulnérable aux tendances saisonnières et aux décisions sur les taux d’intérêt.
Ce qui semble certain, c’est que l’histoire de la reprise du Canada a pris un tournant inattendu – qui défie la sagesse conventionnelle sur le développement économique moderne. En privilégiant le concret sur le numérique, du moins pour l’instant, le Canada se prémunit peut-être contre la volatilité qui a caractérisé une grande partie de l’économie mondiale ces dernières années.
Reste à voir si cela représente une déviation temporaire ou un changement plus fondamental dans l’identité économique du Canada. Mais pour l’instant, les grues continuent de s’élever et les usines continuent de bourdonner.