Alors que les employés de Postes Canada entament la deuxième semaine de leur refus de faire des heures supplémentaires, l’impact devient de plus en plus visible dans les communautés à travers le pays. Le courrier et les colis s’accumulent dans les centres de traitement tandis que les Canadiens frustrés se demandent quand leurs factures, médicaments et paquets arriveront.
J’ai passé hier matin au centre de tri principal d’Ottawa, où l’agitation habituelle du week-end a cédé la place à un calme inquiétant. À l’intérieur, des milliers de colis sont alignés en rangées bien ordonnées, attendant un traitement qui se ferait normalement pendant les quarts d’heures supplémentaires.
« Nous ne voulons pas être ici, » confie Michel Giroux, facteur depuis 22 ans. « Mais après trois ans sans contrat et face à des propositions de la direction qui réduiraient notre sécurité d’emploi, nous avons senti que nous n’avions pas le choix. »
Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) et la direction de Postes Canada doivent se rencontrer aujourd’hui dans ce que beaucoup espèrent être une percée dans l’impasse qui a mené aux moyens de pression actuels. Des sources proches des négociations me confient que les deux parties reconnaissent la pression croissante pour parvenir à un accord avant qu’une grève complète ou un lock-out ne devienne inévitable.
Le ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, suit la situation de près. Son bureau a publié vendredi une déclaration exhortant les deux parties à « continuer de négocier de bonne foi pour parvenir à une entente qui respecte les travailleurs tout en assurant aux Canadiens les services postaux dont ils dépendent. »
Le différend porte sur plusieurs questions clés. Le STTP pousse pour de meilleures dispositions de sécurité d’emploi, des augmentations de salaire qui suivent l’inflation, et des mesures améliorées de santé et sécurité. Postes Canada, de son côté, souligne les défis financiers et l’évolution des volumes de courrier comme contraintes sur ce qu’ils peuvent offrir.
Les récents rapports financiers de Postes Canada montrent que la société d’État a enregistré une perte de 779 millions de dollars en 2024, bien que les critiques notent que cela inclut des ajustements ponctuels des pensions. La livraison de colis – le segment croissant de leur activité – a en fait vu ses revenus augmenter de 4,2% l’an dernier selon leurs rapports trimestriels.
À Yellowknife, Jenna McLeod, propriétaire d’une petite entreprise, me confie que le ralentissement ne pouvait pas tomber à un pire moment. « Le printemps est la période où nous recevons la majorité de notre inventaire pour la saison touristique. Chaque jour de retard représente des ventes perdues que nous ne pouvons pas récupérer. »
Les impacts s’étendent au-delà du commerce. Dans les communautés rurales comme Baie-Comeau, au Québec, où les options de livraison alternatives sont limitées, les résidents s’inquiètent de la réception de leurs médicaments et documents importants. Le pharmacien local Pierre Tremblay conseille à ses patients de demander leurs ordonnances plus tôt que d’habitude. « Pour certains de nos patients âgés, la livraison du courrier est leur bouée de sauvetage, » explique-t-il.
L’opinion publique semble divisée. Un récent sondage d’Abacus Data a révélé que 48% des Canadiens sympathisent avec les travailleurs des postes, tandis que 37% estiment que la position de Postes Canada est plus raisonnable. Les 15% restants n’ont exprimé aucune préférence.
Le refus actuel des heures supplémentaires, qui a débuté le 18 mai, permet au service postal régulier de continuer mais interdit aux travailleurs d’accepter des heures supplémentaires – une stratégie qui augmente progressivement la pression tout en évitant une interruption immédiate des services. Postes Canada s’appuie généralement beaucoup sur les heures supplémentaires pour gérer les fluctuations du volume de courrier et combler les pénuries de personnel.
Lors de ma visite dans une usine de traitement du courrier à Toronto la semaine dernière, la superviseure Darlene Wong m’a montré des rangées de machines fonctionnant à capacité réduite. « Normalement, nous aurions des quarts supplémentaires pour faire fonctionner ces trieuses bien avant dans la soirée, » a-t-elle expliqué. « Maintenant, nous fermons aux heures régulières, peu importe ce qui reste à traiter. »
Pour les communautés qui connaissent déjà des retards de livraison, la situation pourrait s’aggraver si les négociations échouent. Les deux parties se préparent à une possible escalade, Postes Canada élaborant apparemment des plans d’urgence tandis que le STTP a organisé des votes de grève à travers le pays.
Les défenseurs des petites entreprises pressent le gouvernement fédéral de s’impliquer plus directement. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante estime qu’un arrêt de travail complet pourrait coûter aux petites entreprises du pays environ 200 millions de dollars par semaine en paiements retardés et ventes perdues.
De retour à Ottawa, le postier Michel Giroux ajuste son uniforme alors que son quart se termine – précisément à l’heure, sans heures supplémentaires. « Nous livrons à chaque adresse au Canada, à travers les tempêtes de neige et les pandémies. Tout ce que nous demandons, c’est une entente équitable qui reconnaît cet engagement. »
Alors que les négociations d’aujourd’hui commencent, des millions de Canadiens suivront attentivement la situation, espérant que leur courrier recommence à circuler avant que la situation ne se détériore davantage. Que cela se produise dépend de ce qui se déroulera dans une salle de réunion du centre-ville de Toronto aujourd’hui, où deux parties aux visions très différentes du service postal canadien tenteront une fois de plus de trouver un terrain d’entente.