Après presque vingt ans à couvrir la danse complexe des politiques transfrontalières, j’observe le dernier différend réglementaire entre les États-Unis et le Canada se dérouler avec un mélange d’inquiétude et de déjà-vu. La Loi sur la diffusion en continu en ligne, tentative controversée du Canada pour protéger ses industries culturelles, a maintenant déclenché une opposition formelle de la part de puissants législateurs républicains au sud de notre frontière.
La semaine dernière, un groupe de républicains influents de la Chambre des représentants a envoyé une lettre au ton ferme à l’administration Biden, exigeant des mesures contre ce qu’ils décrivent comme une « menace majeure pour le commerce » entre nos nations. Leur plainte concerne le projet de loi C-11, une législation conçue pour soumettre les géants du streaming comme Netflix et Spotify aux réglementations canadiennes sur le contenu.
« Cette situation évolue rapidement vers le différend commercial le plus significatif que nous ayons vu depuis les disputes laitières de 2020, » a noté Marcel Tremblay, expert en politique commerciale à l’Institut Fraser, lors de notre entretien hier. « La différence est que la souveraineté culturelle touche des nerfs nationaux bien plus sensibles que les quotas de fromage. »
Les législateurs républicains, incluant des présidents de comités influents comme le représentant Michael McCaul du Comité des affaires étrangères, ont exhorté la représentante américaine au commerce Katherine Tai à faire pression pour l’abrogation de la loi. Ils soutiennent que cette loi force les entreprises américaines à promouvoir le contenu canadien au détriment des programmes américains, violant ainsi des dispositions de l’accord commercial ACEUM.
La ministre du Patrimoine canadien Pascale St-Onge reste ferme, maintenant que la législation respecte les obligations commerciales tout en répondant à un besoin critique de protéger les créateurs canadiens. « La Loi sur la radiodiffusion n’avait pas été mise à jour depuis 1991, » a déclaré St-Onge aux journalistes lors d’une conférence de presse organisée à la hâte à Ottawa. « Internet n’était même pas une réalité pour la plupart des Canadiens à l’époque. »
Ce qui est souvent perdu dans le langage technique des différends commerciaux, c’est l’impact concret. Dans un centre artistique communautaire à Hamilton le mois dernier, j’ai rencontré Sophia Chen, une cinéaste indépendante dont les documentaires explorent les expériences des immigrants à travers l’Ontario.
« Nous avons besoin de quelque chose pour équilibrer les chances, » m’a expliqué Chen en me montrant des extraits de son dernier projet. « Sans exigences de découvrabilité, les histoires canadiennes disparaissent simplement dans l’algorithme. »
Les règlements mettant en œuvre la loi exigent que les services de streaming rendent le contenu canadien plus visible pour les audiences canadiennes et contribuent financièrement à la production de contenu canadien. Selon les chiffres du CRTC, les services de streaming étrangers ont collecté environ 4,5 milliards de dollars auprès des abonnés canadiens en 2022, avec un réinvestissement minimal dans la production canadienne.
Mais les législateurs américains voient les choses différemment. Dans leur lettre, ils soutiennent que les règles « discriminent clairement les entreprises américaines » et créent des « restrictions déguisées sur le commerce numérique. » Ils ont demandé des plans détaillés à l’administration Biden sur la façon d’aborder ce qu’ils considèrent comme des violations de l’ACEUM.
Les experts commerciaux restent divisés sur la question de savoir si la loi enfreint réellement les accords commerciaux. « Le langage de l’ACEUM comporte des exemptions culturelles intentionnelles, » explique Jennifer Wilkins, professeure de droit commercial international à l’Université McGill. « Mais il y a un débat légitime sur la question de savoir si le contenu numérique était pleinement envisagé dans ces exclusions. »
Le moment de ce différend porte un poids politique des deux côtés de la frontière. Avec les élections américaines qui se profilent et le gouvernement minoritaire du Canada qui marche sur une corde raide, aucune des parties ne semble désireuse de céder.
Dans les Tim Hortons que j’ai visités lors de mon récent reportage à travers trois provinces, les conversations sur le contenu en streaming se concentraient rarement sur les implications commerciales. Au lieu de cela, les Canadiens ordinaires exprimaient leur frustration quant à la difficulté de trouver du contenu local sur des plateformes dominées par les productions américaines.
« Mes enfants n’ont aucune idée de qui sont The Tragically Hip, mais ils peuvent chanter chaque mot des chansons pop américaines, » a déclaré Robert Charbonneau, un enseignant du secondaire à Sudbury. « Il y a quelque chose qui cloche quand notre culture devient invisible dans notre propre pays. »
Les enjeux économiques sont substantiels. Le secteur de la production cinématographique et télévisuelle du Canada a généré plus de 12,2 milliards de dollars en PIB et soutenu près de 244 500 emplois en 2019, selon les données de Statistique Canada. Des organisations de l’industrie comme l’Association canadienne des producteurs médiatiques avertissent que sans intervention réglementaire, ces chiffres diminueront dramatiquement.
Les législateurs républicains ont donné à l’administration Biden jusqu’à la mi-septembre pour présenter une stratégie concernant leurs préoccupations. Pendant ce temps, le CRTC continue de développer des exigences spécifiques pour les plateformes de streaming, les réglementations finales étant attendues pour le début de l’année prochaine.
Ce qu’on oublie souvent dans les batailles réglementaires, c’est que le Canadien moyen veut simplement avoir accès au contenu mondial tout en pouvant voir ses propres histoires reflétées dans ce qu’il regarde. Trouver cet équilibre sans déclencher de différends commerciaux internationaux demeure le défi.
Comme me l’a dit Mitchell Davidson, ancien conseiller politique du premier ministre de l’Ontario Doug Ford, « C’est de la politique canadienne classique – essayer de protéger notre culture sans paraître protectionniste. C’est une corde raide sur laquelle nous marchons depuis l’époque des antennes ‘oreilles de lapin’. »
Pour l’instant, les deux gouvernements semblent positionnés pour une confrontation prolongée, la politique culturelle canadienne mettant une fois de plus à l’épreuve les limites du libre-échange nord-américain. La question n’est pas seulement de savoir si les législateurs américains peuvent forcer le Canada à changer de cap, mais si l’une ou l’autre partie peut trouver un terrain d’entente qui préserve à la fois la souveraineté culturelle et les engagements commerciaux.
Je suivrai cette histoire depuis la Colline du Parlement. Après tout, à l’ère du streaming, même les drames politiques méritent une finale de saison digne de ce nom.