Le courrier doit être livré – sauf quand il ne l’est pas. Partout au Canada, des colis sont entreposés dans des entrepôts, des lettres restent non distribuées, et les entreprises qui dépendent du système postal cherchent désespérément des alternatives alors que Postes Canada annonce d’importants retards de service pendant son conflit de travail en cours.
La société d’État et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) sont engagés dans des négociations tendues depuis plusieurs semaines, les pourparlers avançant à un rythme glacial. Pendant ce temps, Postes Canada signale que le volume de colis a chuté de près de 70 % alors que les clients se tournent vers d’autres options de livraison, craignant un arrêt de travail imminent.
« On a déjà vu ce scénario », confie Mélissa Chen, propriétaire d’une petite entreprise à Toronto qui expédie des bijoux artisanaux dans tout le pays. « Chaque fois que les négociations s’intensifient, mon entreprise en souffre. J’ai déjà transféré 80 % de mes envois vers des services privés, même si ça me coûte deux fois plus cher. »
Jean-Philippe Tremblay, porte-parole de Postes Canada, a confirmé hier que l’incertitude a déclenché ce qu’il appelle « une spirale d’impact sur les services » – les clients abandonnant le service postal, la société perd des revenus, compliquant davantage les aspects financiers des négociations. C’est un scénario classique qui s’est répété lors des précédentes rondes de négociations.
Au cœur du différend se trouvent les salaires, les conditions de travail et les avantages sociaux, mais aussi l’avenir même du travail postal dans une économie de plus en plus numérique. Le STTP représente environ 55 000 facteurs urbains et ruraux qui veulent des garanties concernant la sécurité d’emploi à une époque où le volume du courrier traditionnel continue de diminuer.
L’impact va bien au-delà du simple désagrément. Les entreprises de commerce électronique qui ont bâti leurs modèles autour des options d’expédition abordables de Postes Canada voient leurs marges bénéficiaires s’évaporer lorsqu’elles passent à des alternatives plus coûteuses. Selon les données de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, les petites entreprises paient en moyenne 30 à 40 % de plus pour l’expédition pendant cette période d’incertitude.
« Le service postal demeure une infrastructure essentielle pour le commerce canadien », explique Dr. Sophie Martineau, économiste en logistique à l’Université de Montréal. « Malgré la perception que tout est numérique aujourd’hui, Postes Canada livre encore près de 7,5 milliards d’articles de courrier et de colis annuellement. Quand ce système a des ratés, cela se répercute dans toute l’économie. »
Cette perturbation survient à un moment particulièrement difficile. Statistique Canada a rapporté le mois dernier que les ventes de commerce électronique ont augmenté de 43 % depuis 2019, rendant les services de livraison fiables plus essentiels que jamais. Parallèlement, l’inflation continue d’exercer une pression sur les entreprises et les consommateurs, l’indice des prix à la consommation affichant une augmentation de 3,4 % par rapport à l’année précédente.
Dans les communautés rurales, les enjeux sont encore plus élevés. « Nous n’avons pas le luxe d’avoir plusieurs options de livraison », déclare Simon Tremblay, maire de Baie-Saint-Paul, au Québec. « Quand le service de Postes Canada ralentit, tout, des médicaments sur ordonnance aux chèques gouvernementaux, est retardé. Pour nos résidents âgés en particulier, cela crée de véritables difficultés. »
Le gouvernement fédéral a jusqu’à présent adopté une approche non interventionniste, encourageant les deux parties à parvenir à un accord par le processus de négociation collective. La ministre du Travail, Marjorie Bouchard, a publié une déclaration la semaine dernière indiquant que le gouvernement « respecte le processus de négociation » mais « surveille la situation de près. »
Certains experts en politique suggèrent que cette retenue pourrait ne pas durer si les perturbations de service s’aggravent. « Le gouvernement a historiquement été disposé à intervenir dans les conflits postaux lorsqu’ils commencent à avoir un impact significatif sur l’économie », note François Bélanger, chercheur principal à l’Institut de recherche en politiques publiques. « Une législation de retour au travail a été utilisée par les gouvernements libéraux et conservateurs lors de précédents conflits postaux. »
Postes Canada a connu son dernier arrêt de travail en 2018, lorsque des grèves tournantes ont entraîné d’importants arriérés de courrier. Le différend a finalement été résolu après que le gouvernement fédéral ait nommé un médiateur, mais pas avant d’avoir causé des perturbations généralisées pendant la cruciale période des fêtes.
Le moment choisi pour le conflit actuel a mis de nombreuses entreprises sur le qui-vive alors qu’elles se préparent pour la prochaine saison des achats des fêtes. Selon Marie-Claude Lavoie, porte-parole du Conseil canadien du commerce de détail, un arrêt de travail complet pourrait coûter aux détaillants des centaines de millions en ventes perdues s’il se prolonge jusqu’en novembre ou décembre.
Postes Canada semble se préparer à tous les scénarios. Des documents internes obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information montrent que la société a mis à jour ses plans d’urgence pour les grèves tournantes et une situation de lock-out ou de grève complète. Ces plans comprennent la priorisation de la livraison d’articles essentiels comme les chèques de pension et les médicaments sur ordonnance.
Les entreprises technologiques observent la situation avec intérêt. « Chaque perturbation postale accélère l’adoption d’alternatives numériques », affirme Michel Leblanc, PDG de DocuSend, un service de livraison de documents numériques. « Nous voyons des pics d’abonnement de 200-300 % pendant ces périodes, et de nombreux clients ne reviennent jamais au courrier physique. »
Pour les Canadiens ordinaires, la situation crée un mélange d’agacement et d’anxiété. Les médias sociaux regorgent de plaintes concernant des cartes d’anniversaire qui n’arrivent pas, des documents importants bloqués en transit et des colis qui ne montrent aucun mouvement pendant des jours ou des semaines.
L’incertitude entourant le service de Postes Canada survient alors que des entreprises de messagerie comme FedEx, UPS et Purolator signalent des contraintes de capacité en essayant d’absorber le trop-plein. Les délais de livraison ont été prolongés de 2 à 3 jours pour de nombreux envois, et les suppléments pour le service accéléré ont augmenté partout.
Au milieu de ces perturbations, certaines startups canadiennes y voient une opportunité. Des applications de livraison locale qui se concentraient à l’origine sur les commandes de restaurants ont commencé à offrir des services de livraison de colis dans les centres urbains. Des entreprises comme Livraison Express et Transport Rapide ont signalé une croissance de 40 % des livraisons d’entreprise à consommateur depuis le début des incertitudes postales.
Alors que les négociations se poursuivent, Postes Canada et le syndicat font face à une pression croissante pour parvenir à un accord. La société doit équilibrer la responsabilité fiscale avec un traitement équitable des travailleurs, tandis que le syndicat navigue entre le maintien des avantages durement gagnés et la reconnaissance des réalités changeantes du service postal.
Pour l’instant, on conseille aux Canadiens de prévoir des retards potentiels, d’envisager des alternatives pour les articles urgents et de rester attentifs aux annonces des deux parties. La situation reste fluide, avec la possibilité d’une résolution ou d’une escalade dans les jours à venir.
Une chose reste claire : dans notre monde de plus en plus connecté, l’humble facteur joue toujours un rôle vital – quelque chose que la plupart des Canadiens n’apprécient pleinement que lorsque le service ne fonctionne pas comme prévu.