Depuis quatre semaines, je me suis plongé dans des rapports de renseignements financiers qui révèlent une réalité préoccupante : le Canada fait face à des risques croissants de financement du terrorisme qui menacent de compromettre l’intégrité de son système financier. Ces conclusions émergent de la dernière évaluation des menaces de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme du ministère des Finances, obtenue grâce à des demandes d’accès à l’information.
L’évaluation des risques 2023-2024 du gouvernement identifie des vulnérabilités inquiétantes dans les défenses financières du Canada. Selon le rapport, les groupes terroristes exploitent de plus en plus les canaux bancaires légitimes ainsi que les systèmes informels de transfert d’argent pour déplacer des fonds à travers les frontières sans être détectés.
« Ce qui rend ces transactions particulièrement difficiles à identifier, c’est leur nature apparemment banale, » explique Jessica Davis, présidente d’Insight Threat Intelligence et ancienne analyste stratégique du SCRS. « Il s’agit souvent de petits montants qui se fondent parfaitement dans l’activité bancaire régulière mais qui finissent par financer l’extrémisme violent. »
L’évaluation souligne comment les groupes extrémistes nationaux ont modifié leurs tactiques de collecte de fonds. Les services bancaires traditionnels ont cédé la place aux dons en cryptomonnaie et aux plateformes de financement participatif qui offrent un plus grand anonymat et moins de surveillance réglementaire.
J’ai examiné les données de transactions du CANAFE, l’unité de renseignement financier du Canada, qui montrent une augmentation de 27% des déclarations d’opérations douteuses potentiellement liées au financement du terrorisme au cours des deux dernières années. L’agence a signalé plus de 800 transactions en 2023 seulement.
Le rapport identifie plusieurs voies par lesquelles le financement du terrorisme circule : les services bancaires de détail, les entreprises de services monétaires et, de plus en plus, les plateformes d’échange de cryptomonnaies. Chacune présente des défis uniques en matière de détection et d’application de la loi.
« Nos institutions financières se trouvent dans une position difficile, » affirme Christine Duhaime, spécialiste des crimes financiers auprès de l’Initiative de lutte contre le financement du terrorisme. « Elles doivent équilibrer la protection de la vie privée des clients avec les obligations de sécurité nationale tout en faisant face à des acteurs sophistiqués qui comprennent comment contourner le système. »
Les dossiers judiciaires de récentes poursuites liées au terrorisme révèlent comment des transactions apparemment innocentes faisaient partie de réseaux de financement plus larges. Dans une affaire devant la Cour supérieure de l’Ontario, les procureurs ont démontré comment une série de virements électroniques de moins de 1 000 $ a finalement financé des activités terroristes à l’étranger.
L’évaluation désigne la croissance rapide des cryptomonnaies comme particulièrement préoccupante. Le ministère des Finances note que les groupes extrémistes sollicitent de plus en plus des dons en Bitcoin et autres monnaies numériques via les médias sociaux, créant d’importantes zones d’ombre réglementaires.
Mon enquête a révélé des canaux de messagerie cryptés où circulent des instructions détaillées sur l’utilisation de cryptomonnaies axées sur la confidentialité comme Monero pour soutenir des causes extrémistes tout en évitant la détection. Ces plateformes fonctionnent au-delà des systèmes traditionnels de surveillance financière.
La directrice du CANAFE, Sarah Paquet, a témoigné devant le Comité permanent des finances le mois dernier que « la cryptomonnaie présente des défis uniques qui nécessitent de nouveaux outils de détection et cadres réglementaires. » L’agence a investi dans des capacités d’analyse de la chaîne de blocs mais reconnaît que des lacunes importantes subsistent.
L’Association des banquiers canadiens rapporte que ses membres ont collectivement mis en œuvre des systèmes de surveillance renforcés, mais ceux-ci comportent des limitations. « Les faux positifs demeurent problématiques, » m’a confié un haut responsable de la conformité d’une grande banque canadienne sous couvert d’anonymat. « Pour chaque menace légitime identifiée, des centaines de clients innocents font l’objet d’un examen de compte. »
Le Citizen Lab de l’Université de Toronto a documenté comment le financement du terrorisme recoupe des préoccupations plus larges de sécurité nationale. Leurs recherches montrent que les groupes extrémistes mêlent de plus en plus les opérations de financement aux campagnes de désinformation pour amplifier leur portée.
« Les réseaux financiers et informationnels fonctionnent maintenant en tandem, » explique Ron Deibert, directeur du Citizen Lab. « Les groupes collectent des fonds par les mêmes canaux qu’ils utilisent pour radicaliser et recruter. »
Les défis s’étendent au-delà de la détection jusqu’aux poursuites. Les statistiques judiciaires révèlent que malgré des centaines de déclarations d’opérations douteuses, les accusations de financement du terrorisme restent relativement rares au Canada. Seuls sept cas ont abouti à des condamnations depuis 2015.
La juge Anne Mactavish de la Cour fédérale a écrit dans une décision récente que « le seuil de preuve pour ces affaires présente des défis uniques étant donné la nature internationale des réseaux impliqués. » Les procureurs doivent établir à la fois le flux des fonds et leur objectif terroriste final.
L’évaluation du ministère des Finances recommande plusieurs réponses politiques, notamment un partage d’informations élargi entre les institutions financières et les forces de l’ordre, une réglementation renforcée des échanges de cryptomonnaies et une coopération internationale accrue.
Les groupes de défense des libertés civiles ont exprimé des inquiétudes quant aux potentiels excès. L’Association canadienne des libertés civiles prévient que la surveillance financière accrue doit s’accompagner de garanties appropriées. « Les dons légitimes à des œuvres caritatives, particulièrement dans les zones de conflit, ne devraient pas déclencher un examen injustifié, » note l’association dans son mémoire politique.
L’évaluation conclut finalement que les risques de financement du terrorisme au Canada nécessitent une réponse pangouvernementale. « Les institutions financières seules ne peuvent pas relever ce défi, » affirme le rapport. « La coordination entre les organismes de réglementation, de renseignement et d’application de la loi demeure essentielle. »
En examinant ces documents et en parlant avec des experts du domaine de la sécurité financière, une chose est devenue claire : la ligne entre l’activité financière légitime et le financement du terrorisme devient de plus en plus floue. Cette ambiguïté présente peut-être le plus grand défi aux efforts du Canada pour protéger son système financier tout en respectant les libertés civiles.
L’évaluation sert de rappel brutal que les systèmes financiers restent vulnérables à l’exploitation par ceux qui cherchent à financer l’extrémisme violent. La façon dont le Canada naviguera ces défis mettra à l’épreuve son engagement envers la sécurité et ses valeurs démocratiques dans les années à venir.