Travailler pour une multinationale ou une entreprise étrangère au Canada était autrefois considéré comme un passeport vers l’avancement professionnel. Meilleure rémunération, exposition internationale et emploi apparemment stable attiraient les talents en masse vers les entreprises internationales s’installant dans les villes canadiennes. Mais les événements récents dressent un tableau plus complexe.
Lorsque le géant suédois des télécommunications Ericsson a annoncé 1 400 suppressions d’emplois au Canada en août dernier, il ne s’agissait pas simplement d’une restructuration d’entreprise. Cela représentait un schéma qui devient de plus en plus familier pour les travailleurs canadiens employés par des entreprises étrangères – des décisions prises dans des salles de conseil éloignées qui peuvent bouleverser du jour au lendemain des opérations canadiennes entières.
« Ces décisions surviennent souvent sans avertissement, » explique Marie Chantal, spécialiste du marché du travail à l’Université de Toronto. « Lorsque le siège social d’une entreprise se trouve à 6 000 kilomètres, les employés canadiens peuvent se retrouver victimes de stratégies mondiales qui ont peu à voir avec leurs performances réelles. »
Les données confirment cette vulnérabilité. Selon Statistique Canada, les entreprises sous contrôle étranger emploient plus de 1,9 million de Canadiens – environ 12 % de la main-d’œuvre du secteur privé. Bien que ces emplois soient souvent rémunérés 13,7 % de plus que leurs homologues canadiens, ils s’accompagnent d’instabilités particulières.
Prenons la fermeture soudaine du bureau torontois d’Etsy en 2022, ou les récents licenciements chez Wayfair, propriété américaine, qui ont frappé les équipes canadiennes de manière disproportionnée. Lorsque Meta a fermé sa division Reality Labs au Canada, des centaines de travailleurs hautement spécialisés se sont retrouvés à chercher de nouveaux postes dans un marché restreint.
Le problème ne se limite pas à la technologie. Les travailleurs manufacturiers dans des usines étrangères connaissent une précarité similaire. Lors de restructurations mondiales de la chaîne d’approvisionnement, les installations canadiennes se retrouvent souvent en première ligne des coupes, malgré leurs indicateurs de productivité.
« Le défi est que ces décisions concernent rarement les conditions du marché canadien, » explique Dexter Montague, économiste chez RBC Marchés des Capitaux. « Il s’agit d’équilibrage de portefeuille mondial, de fluctuations monétaires ou d’apaisement des actionnaires dans le pays d’origine de l’entreprise. »
Cela crée ce que les économistes appellent la « vulnérabilité des succursales » – où les opérations canadiennes existent comme des composantes périphériques d’entités plus grandes, les rendant sacrifiables lors de ralentissements ou de changements stratégiques.
Pour les employés, les risques sont substantiels. Greg Winters l’a appris à ses dépens lorsque l’entreprise fintech américaine pour laquelle il travaillait a été acquise par un acteur plus important. « En trois mois, ils ont complètement fermé notre bureau de Toronto. Les dirigeants que nous n’avons jamais rencontrés ont décidé que le Canada n’était plus stratégique, et c’était fini – 85 emplois disparus. »
Bien que les indemnités de départ soient légalement requises, elles compensent rarement la perturbation professionnelle. Winters a passé huit mois à trouver un emploi comparable, acceptant finalement un poste avec une réduction de salaire de 15 %.
Le facteur de risque lié à la propriété étrangère va au-delà de la sécurité d’emploi. L’avancement professionnel peut se heurter à des plafonds invisibles lorsque les décisions clés et les rôles de leadership restent concentrés au siège social. Les Canadiens se retrouvent souvent incapables de progresser au-delà du management intermédiaire sans déménager.
« Il existe souvent ce préjugé tacite du siège social, » remarque Samantha Lui, coach de carrière spécialisée dans les environnements multinationaux. « Les projets importants, les promotions et les opportunités de visibilité gravitent naturellement vers le bureau principal. Les employés canadiens peuvent se retrouver en permanence dans un ‘statut satellite’ indépendamment de leurs contributions. »
Les décalages culturels aggravent ces défis. Les travailleurs rapportent leur frustration lorsque les dirigeants étrangers ne comprennent pas les normes de travail canadiennes, les attentes en matière d’avantages sociaux ou les calendriers de congés. Les entreprises américaines, par exemple, offrent généralement moins de jours de vacances que ce à quoi les Canadiens s’attendent, tandis que les entreprises européennes peuvent avoir du mal à adapter leurs styles de gestion aux attentes nord-américaines.
La dernière enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada indique une autre tendance préoccupante : les entreprises à propriété étrangère sont 22 % plus susceptibles de retarder ou de réduire les investissements dans leurs opérations canadiennes pendant les périodes d’incertitude économique. Cela crée une vulnérabilité secondaire où les employés restants font face à des contraintes de ressources même en conservant leur emploi.
Tous les employeurs étrangers ne présentent pas le même risque. Les entreprises qui établissent d’importants sièges sociaux canadiens – comme la présence significative de Microsoft à Toronto ou les installations de recherche de Samsung – démontrent un engagement plus profond que celles qui maintiennent une présence minimale.
Les réglementations gouvernementales créent également des garde-fous. La Loi sur Investissement Canada exige l’examen des acquisitions étrangères dépassant certains seuils, avec des dispositions pour protéger les emplois canadiens. Cependant, ces protections concernent principalement les acquisitions, pas les décisions opérationnelles des employeurs étrangers établis.
Pour les chercheurs d’emploi évaluant les opportunités avec des entreprises étrangères, une diligence raisonnable est essentielle. « Recherchez l’historique de l’entreprise spécifiquement au Canada, » conseille Lui. « Depuis combien de temps maintiennent-ils des opérations ici? Ont-ils traversé des ralentissements précédents sans réduire les postes canadiens? Quel pourcentage de leur main-d’œuvre mondiale est canadien? »
Les structures de rémunération méritent également un examen minutieux. Les employeurs étrangers offrent parfois des composantes d’actions qui semblent attrayantes mais comportent des complications cachées. Les options d’achat d’actions dans une société mère peuvent déclencher des problèmes fiscaux transfrontaliers complexes, tandis que les primes liées aux mesures de performance mondiale peuvent désavantager les employés canadiens.
Malgré ces risques, les employeurs étrangers continuent d’offrir des avantages significatifs. Ils introduisent souvent des technologies et des pratiques avancées sur le marché canadien, accélérant le développement professionnel. Leurs réseaux mondiaux peuvent fournir une exposition unique et, dans certains cas, une mobilité internationale.
L’essentiel pour les travailleurs canadiens est d’entrer dans ces relations en toute connaissance de cause. Comprendre sa position dans la structure d’entreprise mondiale – et avoir des plans de contingence – offre une protection essentielle.
« Considérez cela comme une prime de risque, » suggère Montague. « La rémunération supplémentaire que ces postes offrent souvent devrait être partiellement considérée comme une compensation pour l’incertitude additionnelle. »
À mesure que l’économie canadienne s’intègre davantage à l’échelle mondiale, naviguer dans ces relations d’emploi étrangères représente une nouvelle compétence professionnelle – qui exige une pensée stratégique, un développement continu de réseau et le maintien de compétences commercialisables qui transcendent tout employeur unique.