Le poids de la mort d’Hélène Rowley Hotte continue de résonner dans le discours civique québécois. La mère de 93 ans de l’ancien chef du Bloc Québécois Gilles Duceppe est décédée d’hypothermie en janvier 2019 après s’être retrouvée enfermée à l’extérieur de sa résidence pour personnes âgées lors d’une froide nuit d’hiver montréalaise.
Sa mort tragique a refait surface cette semaine alors que la coroner québécoise Géhane Kamel a présenté un rapport exhaustif appelant à des changements fondamentaux dans la façon dont nos villes priorisent la sécurité des piétons. Après avoir enquêté sur 13 décès de piétons entre 2019 et 2022, les conclusions de Kamel pointent vers des défaillances systémiques qui continuent de mettre nos citoyens les plus vulnérables en danger.
Les décès de piétons que nous observons ne sont pas de simples accidents—ils représentent des échecs de conception dans notre environnement urbain, a déclaré Jean-François Gascon, porte-parole de Piétons Québec, qui milite depuis des années pour des mesures de sécurité plus robustes. Ces recommandations reconnaissent ce que nous disons depuis longtemps: nos rues privilégient la circulation des véhicules au détriment des vies humaines.
Ce qui rend le rapport de Kamel particulièrement percutant, c’est la façon dont il relie les tragédies individuelles à des échecs politiques plus larges. Chaque décès investigué révèle des schémas similaires: des intersections mal conçues, des temps de traversée inadéquats et des aménagements de rue qui privilégient la commodité des conducteurs plutôt que la sécurité des piétons.
Les recommandations arrivent à un moment crucial pour Montréal. L’administration de la mairesse Valérie Plante a investi dans son initiative Vision Zéro, qui vise à éliminer les décès liés à la circulation, mais les progrès ont été frustrants de lenteur. Selon les données de la SAAQ, les décès de piétons au Québec sont restés obstinément constants, avec 69 décès en 2021 et 70 en 2022.
Ce ne sont pas que des statistiques, m’a confié Sophie Lanctôt de Société Logique lors d’une promenade pluvieuse à travers une intersection montréalaise signalée dans le rapport. Chaque chiffre représente une famille brisée, un membre de la communauté perdu. Et le plus déchirant, c’est à quel point ces décès sont évitables.
La recommandation la plus ambitieuse de la coroner implique de réduire les limites de vitesse à 30 km/h dans les zones résidentielles et scolaires—une mesure déjà mise en œuvre dans certaines parties de Montréal mais manquant d’application cohérente. Kamel appelle également à repenser les intersections problématiques, à prolonger les temps de traversée piétonne et à mieux protéger les usagers vulnérables de la route.
Pour Pierre Barrieau, professeur d’urbanisme à l’Université de Montréal, le rapport met en lumière les tensions entre des visions concurrentes de la mobilité urbaine. Nous assistons à un changement fondamental dans notre conception des rues, a-t-il expliqué. Pendant des décennies, nous avons conçu les villes autour du déplacement efficace des voitures. Maintenant, nous essayons de récupérer cet espace pour les gens, et cette transition crée des conflits.
Ce conflit se manifeste dans les consultations communautaires où les commerçants s’inquiètent des impacts sur le stationnement et les navetteurs craignent des temps de déplacement plus longs. Mais les conclusions du rapport présentent un argument convaincant que ces préoccupations doivent être équilibrées face aux conséquences littéralement vitales de notre approche actuelle.
Le rapport souligne spécifiquement des intersections montréalaises comme celle de Saint-Denis et du boulevard Rosemont, où Cécile Deschênes, 81 ans, a été heurtée mortellement par un camion qui tournait en 2020. La coroner a constaté qu’elle disposait de seulement 13 secondes pour traverser six voies de circulation—à peine assez de temps pour quelqu’un sans problèmes de mobilité, sans parler des aînés ou des personnes handicapées.
La ministre des Transports Geneviève Guilbault a reconnu les conclusions du rapport mais s’est gardée de s’engager sur des échéanciers précis d’implémentation. Nous examinons ces recommandations avec attention, a-t-elle indiqué dans une réponse par courriel. La sécurité routière demeure une priorité pour notre gouvernement.
Pour les familles qui ont perdu des êtres chers, de telles réponses mesurées semblent inadéquates. Marie-Claude Dagenais, dont la mère a été tuée à un passage piéton mal conçu dans Rosemont, a exprimé sa frustration face à la lenteur des changements. Chaque jour qui passe sans ces améliorations signifie qu’une autre famille pourrait vivre ce que nous avons vécu, a-t-elle dit, la voix légèrement brisée. Combien de rapports faut-il avant que des actions concrètes soient entreprises?
Le moment choisi pour ce rapport coïncide avec la saison des travaux à Montréal, offrant une opportunité immédiate d’intégrer des améliorations de sécurité dans les travaux routiers prévus. Selon les données municipales, Montréal a alloué 24,7 millions de dollars pour les améliorations d’infrastructures piétonnières cette année—un chiffre que les défenseurs estiment devoir être considérablement augmenté.
Ce qui rend les recommandations de Kamel particulièrement puissantes, c’est leur approche holistique. Plutôt que de se concentrer uniquement sur le comportement des conducteurs, elles reconnaissent le rôle de la conception des rues dans la façon dont les gens se déplacent dans les espaces urbains. La recherche montre constamment que les changements d’infrastructure physique—voies plus étroites, distances de traversée plus courtes, intersections protégées—sont plus efficaces que les campagnes d’éducation ou l’application de la loi seules.
Pour ceux qui parcourent quotidiennement les rues de Montréal, ces changements ne peuvent pas arriver assez vite. Je pense à ma sécurité à chaque intersection, a déclaré Monique Chartrand, 74 ans, que j’ai rencontrée alors qu’elle utilisait sa marchette pour naviguer dans le quartier du Plateau. J’ai simplement arrêté de traverser certaines rues parce que je sais que je n’ai pas le temps de traverser. Ce n’est pas une façon de vivre dans sa propre ville.
Alors que Montréal contemple ces recommandations, la véritable mesure de leur impact ne se trouvera pas dans les réponses officielles ou les communiqués de presse, mais dans la question de savoir si nos rues deviennent véritablement plus sécuritaires pour tous ceux qui les utilisent—particulièrement nos citoyens les plus vulnérables.
Le fantôme d’Hélène Rowley Hotte et de douze autres hante ce rapport. La question maintenant est de savoir si leurs décès catalyseront les changements nécessaires pour éviter que d’autres noms s’ajoutent à cette liste solennelle.