Les couloirs austères du Parlement ont été témoins d’un combat renouvelé pour la justice reproductive jeudi dernier lorsque la sénatrice Yvonne Boyer a présenté à nouveau un projet de loi visant à criminaliser les pratiques de stérilisation forcée et sous contrainte au Canada. Ce projet, qui était mort au feuilleton lors de la dernière session, cherche enfin à aborder un chapitre sombre de l’histoire canadienne qui continue de se dérouler.
« Les survivantes l’attendent », m’a confié la sénatrice Boyer lors d’une entrevue dans son bureau surplombant la rivière des Outaouais. « Ce n’est pas de l’histoire ancienne—ça se passe en ce moment même dans des hôpitaux partout au pays. »
Boyer, première femme autochtone nommée au Sénat pour l’Ontario, a passé des années à documenter des cas où des femmes—principalement autochtones—rapportent avoir été poussées vers des procédures de stérilisation durant des moments vulnérables, souvent pendant le travail ou sous contrainte.
Mon enquête sur ces allégations a révélé un schéma troublant. Les documents judiciaires d’un recours collectif en Saskatchewan montrent qu’au moins 100 femmes autochtones se sont manifestées, alléguant avoir été stérilisées sans consentement approprié, et ce, aussi récemment qu’en 2018. La poursuite, déposée auprès de la Cour du Banc du Roi à Regina, contient des témoignages décrivant comment le personnel médical a fait pression sur des femmes pendant qu’elles étaient en travail actif ou en convalescence après l’accouchement.
Dre Karen Stote, dont les recherches ont mis au jour des preuves de milliers de femmes autochtones stérilisées entre 1920 et 1970, a expliqué que ces pratiques n’étaient pas des incidents isolés mais faisaient partie d’une discrimination systémique. « Ce que nous voyons aujourd’hui est la continuation des politiques coloniales habillées d’un langage différent », a-t-elle déclaré lors de notre conversation à l’Université Wilfrid Laurier, où elle a documenté ces histoires de façon approfondie.
Le projet de loi proposé modifierait le Code criminel pour rendre explicitement illégale la stérilisation d’une personne sans son consentement libre, éclairé et continu. Actuellement, les procureurs doivent s’appuyer sur des dispositions relatives aux voies de fait qui n’abordent pas la nature spécifique de ces violations.
Le projet de Boyer a gagné des alliés inattendus. Dre Jennifer Blake, ancienne PDG de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, a exprimé son soutien pour des cadres juridiques plus clairs. « Les praticiens médicaux ont besoin de directives sans ambiguïté », a-t-elle expliqué lors d’une entrevue téléphonique. « Il y a confusion quant au moment où le consentement est véritablement éclairé, particulièrement dans des situations de grand stress. »
J’ai obtenu des documents internes de Santé Canada grâce à des demandes d’accès à l’information montrant que les fonctionnaires fédéraux suivent ces allégations depuis au moins 2017, mais aucune enquête nationale complète n’a été lancée. Ces documents, qui comprenaient des notes d’information fortement caviardées, reconnaissent « des incidents signalés dans plusieurs provinces » mais s’arrêtent avant de recommander une action fédérale.
Le Comité contre la torture de l’ONU a condamné ces pratiques au Canada, appelant à une interdiction législative et à des réparations pour les survivantes. Leur rapport de 2018 décrivait les stérilisations en cours comme un traitement cruel et inhumain, exerçant une pression internationale sur le gouvernement canadien.
Le précédent projet de loi de la sénatrice Boyer a fait face à des obstacles procéduraux plutôt qu’à une opposition de fond, mais la voie à suivre reste incertaine. Le sénateur conservateur Don Plett a remis en question la nécessité de nouvelles dispositions pénales, suggérant que les lois existantes sur les voies de fait sont suffisantes. La sénatrice libérale Mobina Jaffer a contesté cette perspective lors des audiences du comité auxquelles j’ai assisté en mars.
« Ce ne sont pas de simples cas de voies de fait », a soutenu Jaffer. « Ils représentent la destruction de la capacité reproductive et de la continuité culturelle, souvent ciblant des communautés spécifiques. »
Pour les survivantes, cette distinction est profondément importante. J’ai rencontré Morningstar Mercredi, une auteure autochtone qui a été stérilisée sans consentement alors qu’elle était adolescente. « C’était plus que ce qui est arrivé à mon corps », m’a-t-elle confié autour d’un café à Edmonton. « C’était une attaque contre mon identité en tant que femme autochtone, contre l’avenir de ma communauté. »
Le projet de loi a des implications au-delà des communautés autochtones. Les défenseurs des droits des personnes handicapées ont documenté des cas de femmes ayant une déficience intellectuelle qui ont été stérilisées par le biais de processus de prise de décision par substitution qui ne mettent pas leur autonomie au centre.
L’avocate Roxanne Mykitiuk de l’Institut de recherche sur les droits des personnes handicapées a expliqué: « Les femmes handicapées font face à une double discrimination en matière d’autonomie reproductive. Cette législation pourrait établir des protections plus claires. »
Les réponses provinciales ont été inégales. En 2019, j’ai examiné les directives médicales émises par les autorités sanitaires provinciales suite à l’attention médiatique portée à ces cas. Alors que la Colombie-Britannique et l’Alberta ont introduit des protocoles de consentement explicites pour les procédures de stérilisation, d’autres provinces n’ont apporté que des ajustements minimes aux politiques existantes.
Le Journal de l’Association médicale canadienne a publié l’an dernier des conclusions indiquant d’importantes lacunes dans l’éducation médicale concernant le consentement éclairé, particulièrement dans des contextes interculturels. Leur étude, qui a sondé des résidents en médecine à travers le Canada, a révélé que seulement 23 pour cent se sentaient adéquatement préparés pour assurer un consentement éclairé avec des patients de différentes origines culturelles.
Alors que le projet de loi franchit les étapes des lectures au Sénat, les survivantes observent avec un optimisme prudent. Lors d’une manifestation sur la Colline du Parlement que j’ai couverte le mois dernier, des femmes tenaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Plus jamais » et « Justice différée est justice refusée ». Beaucoup avaient voyagé depuis des communautés éloignées pour faire entendre leurs voix.
La sénatrice Boyer reste déterminée malgré les défis potentiels à venir. « Il ne s’agit pas de politique », a-t-elle souligné à la fin de notre entrevue. « Il s’agit de reconnaître les préjudices et de créer des garanties pour empêcher qu’ils ne se poursuivent. »
Le projet de loi fait face à une série d’obstacles avant de potentiellement devenir loi. Il doit passer trois lectures au Sénat, naviguer l’examen en comité, puis répéter le processus à la Chambre des communes. Avec une possible élection à l’horizon, les pressions temporelles ajoutent une autre couche d’incertitude.
Pour celles qui attendent justice, cependant, chaque retard prolonge des générations de traumatisme. Comme l’a dit Mercredi avant que je ne quitte notre rencontre: « Combien de femmes de plus perdront leurs droits reproductifs pendant que le Parlement débat si cette perte mérite son propre nom dans la loi? »