Je franchis les lourdes portes vitrées de l’édifice Park Centre au centre-ville de Vancouver. Le vent de décembre a rougi mes joues, mais je suis réchauffé par l’énergie qui règne dans la salle de conférence du quatrième étage où je rencontre Sonia Kalra, une gestionnaire de marketing numérique de 42 ans. Autour d’elle, une vingtaine de collègues sont penchés sur leurs ordinateurs portables pendant leur pause-déjeuner, tous essayant de naviguer dans le nouveau portail d’avantages sociaux de leur entreprise.
« Je repousse ça depuis des semaines, » confie Sonia, ajustant ses lunettes tout en faisant défiler les options de couverture. « Ma fille a besoin d’un appareil dentaire, la physiothérapie de mon mari n’est pas couverte par le régime provincial, et certains mois, je saute mes propres ordonnances. Même avec un salaire convenable, je n’arrive pas à suivre. »
L’expérience de Sonia reflète ce qui se passe partout au Canada alors que notre système de santé fait face à une pression sans précédent. Bien que nous soyons fiers de notre système de santé universel, la réalité devient de plus en plus complexe. Les régimes de santé provinciaux ploient sous la pression post-pandémique, laissant des lacunes critiques dans la couverture que de nombreux Canadiens peinent à combler.
Selon l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, plus de 26 millions de Canadiens comptent sur des régimes d’avantages sociaux offerts par l’employeur ou individuels pour compléter la couverture provinciale. Pourtant, ces régimes deviennent plus coûteux à maintenir, les coûts des soins de santé augmentant plus rapidement que l’inflation. Benefits Canada rapporte que les promoteurs de régimes ont connu des augmentations de coûts de 6 à 8 % en 2023 seulement.
« Nous atteignons un point critique, » explique Dre Nadia Singh, chercheuse en économie de la santé à l’Université de la Colombie-Britannique. « Les systèmes de santé provinciaux couvrent l’essentiel, mais la définition des ‘soins essentiels’ n’a pas évolué avec les besoins modernes en matière de santé. Les services de santé mentale, les médicaments sur ordonnance, les soins dentaires, la vision — ces éléments sont de plus en plus considérés comme essentiels, et non comme des extras. »
Lors de ma visite à la Clinique médicale Waterfront le mois dernier, le médecin de famille Dr Martin Chen m’a montré un tiroir rempli d’échantillons de médicaments qu’il garde pour les patients qui n’ont pas les moyens de payer leurs ordonnances. « J’en vois les conséquences chaque jour, » m’a-t-il dit. « Des patients qui rationnent leurs médicaments, reportent leur thérapie ou évitent les soins dentaires jusqu’à ce que cela devienne une urgence. Les lacunes de notre système deviennent des gouffres. »
Cette crise d’accessibilité des soins de santé a créé un curieux changement dans les milieux de travail canadiens. Les régimes d’avantages sociaux, autrefois considérés comme des privilèges, deviennent maintenant essentiels pour le recrutement et la rétention des employés. Une récente enquête de Mercer a révélé que 78 % des employés canadiens considèrent les avantages en matière de santé comme un facteur primordial dans le choix d’un employeur.
Chez Horizon Digital, une entreprise de marketing de taille moyenne à Richmond, le directeur des ressources humaines Jamal Washington a été témoin de cette transformation. « Il y a cinq ans, les candidats s’informaient d’abord du salaire et des vacances. Maintenant, la première question concerne souvent la couverture médicale. Nous avons récemment perdu un designer talentueux au profit d’un concurrent offrant une meilleure couverture paramédicale, malgré notre salaire plus élevé. »
La pression sur les employeurs survient à un moment difficile. Les entreprises canadiennes font face à l’augmentation des coûts d’exploitation, à l’incertitude économique et aux pénuries de talents. Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, près de 60 % des propriétaires de petites entreprises déclarent avoir du mal à équilibrer des avantages sociaux compétitifs avec la viabilité financière.
« C’est un équilibre délicat, » explique Sara Miller, consultante en avantages sociaux chez Beneva, alors que nous discutons autour d’un café près de son bureau du centre-ville. « Les employeurs veulent offrir une couverture complète, mais les régimes traditionnels uniformisés deviennent prohibitifs. L’innovation que nous observons maintenant concerne la flexibilité et la personnalisation. »
Cette innovation prend plusieurs formes dans le paysage canadien des avantages sociaux. Lors de ma visite au siège social de l’entreprise technologique Maple Solutions à Kitchener, leur gestionnaire des avantages sociaux m’a fièrement montré leur système de compte de dépenses flexible. Les employés reçoivent des crédits annuels qu’ils peuvent allouer aux services qui leur importent le plus, qu’il s’agisse de soutien en santé mentale, de traitements de fertilité ou de ressources pour les soins aux aînés.
D’autres employeurs explorent des offres ciblées à fort impact. Chez Northern Manufacturing à Thunder Bay, j’ai rencontré des travailleurs qui participaient au nouveau modèle de couverture hybride de l’entreprise — des avantages essentiels de base complétés par des suppléments optionnels que les employés peuvent acheter à des tarifs de groupe. L’entreprise subventionne 50 % de la prime pour les services préventifs comme les nettoyages dentaires et les soins de la vue.
« Nous avons réalisé que nous ne pouvions pas nous permettre une couverture complète pour tout, » a expliqué la directrice financière Teresa Williams. « Mais nous pouvions nous concentrer sur la prévention des problèmes de santé coûteux à l’avenir. Notre partenaire d’assurance nous a montré des données suggérant que chaque dollar investi dans les soins préventifs permet d’économiser environ quatre dollars en réclamations futures. »
L’innovation numérique crée également des opportunités. Le fournisseur d’avantages sociaux Green Shield Canada a développé une plateforme de soins virtuels qui met les employés en contact avec des professionnels de la santé sans salles d’attente ni déplacements. Leurs données montrent que cette approche réduit l’absentéisme tout en améliorant l’observance des traitements.
Pour les petites entreprises, des modèles coopératifs émergent. À Halifax, j’ai visité l’Association des petites entreprises de l’Atlantique, où 27 entreprises locales ont mis en commun leurs ressources pour accéder à de meilleurs tarifs de groupe qu’elles n’auraient pu négocier individuellement. L’approche coopérative a réduit leur fardeau administratif tout en offrant des options de couverture plus complètes.
« Le modèle fonctionne parce que nous partageons les risques sur un plus grand bassin, » a expliqué la directrice de l’association, Marie Comeau. « Une petite entreprise peut avoir deux réclamations coûteuses qui font grimper ses primes. Avec 200 employés répartis dans plusieurs entreprises, ces coûts sont répartis plus uniformément. »
Malgré ces innovations, des défis importants subsistent. L’approche fragmentée du Canada en matière de soins de santé crée des inégalités géographiques. Lorsque les programmes d’assurance-médicaments provinciaux varient considérablement d’une région à l’autre, les employeurs ayant des activités à l’échelle nationale ont du mal à créer des régimes d’avantages sociaux équitables.
Rebecca Thompson, analyste des politiques au Centre canadien de politiques alternatives, m’a fait part de ses préoccupations lors de notre entretien. « Nous demandons aux employeurs de combler les lacunes de notre filet de sécurité sociale, ce qui crée ses propres problèmes. Qu’advient-il des personnes entre deux emplois? Qu’en est-il des petites entreprises qui ne peuvent pas rivaliser avec les avantages sociaux des grandes entreprises? Nous créons un système à plusieurs niveaux par défaut plutôt que par conception. »
De retour à l’édifice Park Centre, Sonia a terminé de sélectionner ses allocations d’avantages. Elle a fait des compromis difficiles — maximisant la couverture dentaire pour sa fille tout en réduisant ses propres avantages en matière de soins de la vue. « C’est comme jouer à Tetris avec nos soins de santé, » soupire-t-elle. « Je suis reconnaissante d’avoir des options, mais c’est épuisant de calculer constamment quels besoins de santé nous pouvons nous permettre d’adresser. »
Alors que je range mon carnet, un collègue de Sonia interrompt notre conversation pour demander de l’aide avec le portail. « Je n’ai jamais eu à réfléchir autant aux soins de santé auparavant, » admet-il. « Mes parents allaient simplement chez le médecin quand ils en avaient besoin. Pas de calculatrices, pas de portails. »
Son commentaire me reste en tête alors que je quitte l’immeuble. Dans notre approche typiquement canadienne des soins de santé — universelle mais incomplète — les employeurs sont devenus des partenaires inattendus dans le domaine de la santé. La question demeure de savoir si cette hybridation public-privé peut évoluer pour servir équitablement les Canadiens tout en restant économiquement viable pour les entreprises qui assument de plus en plus le fardeau de notre crise d’accessibilité aux soins de santé.