Les Canadiens plus âgés montrent une étonnante volonté de défendre leur pays si jamais on faisait appel à eux, tandis que les jeunes générations semblent moins enclines à s’engager dans le service militaire. C’est la conclusion frappante d’un nouveau sondage Léger qui révèle un fossé générationnel dans le devoir patriotique.
L’enquête a révélé qu’environ la moitié des Canadiens se porteraient volontaires pour combattre si le Canada faisait face à une menace militaire, mais les chiffres varient considérablement selon le groupe d’âge. Près de 59 % des personnes âgées de 55 ans et plus prendraient les armes, contre seulement 41 % des Canadiens entre 18 et 34 ans.
« Il y a un changement profond dans la façon dont les différentes générations perçoivent le service national, » explique Dre Lauren McKenzie, politologue à l’Université Carleton. « Beaucoup de Canadiens plus âgés ont grandi avec des parents ou grands-parents qui ont servi pendant la Seconde Guerre mondiale, créant un lien plus fort avec le service militaire que les jeunes Canadiens n’ont tout simplement pas. »
Ces résultats surviennent dans un contexte de tensions mondiales croissantes et d’inquiétudes concernant l’état de préparation militaire du Canada. Le mois dernier, le ministre de la Défense, Bill Blair, a reconnu que les forces armées canadiennes font face à des « défis importants » en matière de recrutement, l’armée comptant actuellement environ 16 000 membres de moins que sa pleine capacité.
Jean-Marc Léger, président de Léger, a noté que le fossé générationnel semble refléter différentes perspectives sur l’identité nationale. « Les jeunes Canadiens ont grandi dans un monde plus mondialisé. Leur sens de l’obligation envers l’État-nation n’est pas nécessairement plus faible, mais il se manifeste différemment que chez leurs parents ou grands-parents. »
Le sondage, qui a interrogé 1 622 Canadiens en février, a révélé d’autres tendances intéressantes. Les hommes étaient nettement plus susceptibles que les femmes de dire qu’ils se porteraient volontaires, avec 61 % des répondants masculins répondant par l’affirmative contre 38 % des femmes.
Des différences régionales sont également apparues. Les Canadiens de l’Atlantique ont montré la plus grande volonté de servir à 59 %, tandis que les Québécois étaient les moins susceptibles à 42 %.
« Les provinces de l’Atlantique ont une profonde tradition militaire, » note le colonel à la retraite Michael Dempsey, qui a servi 32 ans dans les Forces armées canadiennes. « Des communautés comme Halifax sont des villes militaires depuis des générations. Ce lien est profondément ancré dans le tissu culturel là-bas. »
Ces résultats arrivent alors que les Forces armées canadiennes sont aux prises avec des problèmes de recrutement et de rétention. L’année dernière, l’armée a lancé sa campagne « Servir avec force » visant à attirer de nouvelles recrues, particulièrement parmi les groupes sous-représentés. Cependant, les progrès ont été lents.
« Nous sommes en concurrence pour attirer des talents dans un marché du travail serré, » admet la lieutenant-commandante Marie Clarkson, officière de recrutement des FAC à Ottawa. « Les jeunes Canadiens d’aujourd’hui ont de nombreuses options de carrière qui offrent un meilleur équilibre travail-vie personnelle et des salaires compétitifs. »
Au-delà des préoccupations immédiates de recrutement, le sondage soulève des questions sur la préparation globale du Canada face aux menaces mondiales. Une autre question de l’enquête a révélé que 61 % des Canadiens croient que le pays serait incapable de se défendre en cas d’attaque.
Jagmeet Gill, défenseur communautaire de Surrey, en Colombie-Britannique, représente la perspective de la jeune génération. « Ma génération ne voit pas le service militaire comme la seule façon de servir notre pays. Nous sommes concentrés sur le changement climatique, la justice sociale et le développement communautaire. Ce sont aussi des champs de bataille. »
Certains experts suggèrent que ces résultats reflètent l’évolution des notions de citoyenneté plutôt qu’un déclin du patriotisme. « Les jeunes Canadiens ne sont pas nécessairement moins patriotes, » soutient Dre Eliza Montgomery de l’École Munk des affaires mondiales de l’Université de Toronto. « Ils redéfinissent ce que signifie le patriotisme dans un monde numérique et interconnecté où les frontières traditionnelles semblent moins pertinentes. »
Le sondage a également demandé aux Canadiens comment ils réagiraient face à une occupation militaire. Environ 37 % ont déclaré qu’ils s’engageraient dans des activités de résistance, tandis que 28 % tenteraient de fuir le pays. Seulement 12 % ont dit qu’ils coopéreraient avec les forces d’occupation.
À la Salle des anciens combattants de Kingston, en Ontario, William MacKenzie, sergent à la retraite de 72 ans, n’a pas été surpris par les résultats. « Quand je me suis engagé en 1970, c’était un Canada différent. Nous avions des liens vivants avec deux guerres mondiales. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas cela, et franchement, nous devrions être reconnaissants qu’ils n’aient pas eu à faire l’expérience de ce qu’est la nécessité. »
Les défis de recrutement militaire surviennent alors que les alliés de l’OTAN s’inquiètent des dépenses de défense du Canada, qui restent inférieures à l’objectif de 2 % du PIB fixé par l’alliance, malgré des augmentations récentes.
Le gouvernement fédéral s’est engagé à augmenter les dépenses militaires, le premier ministre Justin Trudeau ayant annoncé l’année dernière que le Canada investirait des milliards dans la modernisation du NORAD et la défense de l’Arctique.
David Richardson, un étudiant universitaire de 19 ans à Calgary, représente la vision complexe que partagent de nombreux jeunes Canadiens. « J’aime profondément ce pays, mais je ne suis pas sûr que le service militaire traditionnel soit la façon dont je choisirais de le montrer. Je me porterais d’abord volontaire pour des rôles d’intervention d’urgence ou de soutien communautaire. Cela me semble plus en accord avec mes valeurs. »
Alors que les tensions mondiales augmentent et que le Canada reconsidère sa posture militaire, ces différences générationnelles pourraient susciter des conversations plus larges sur le service national, les responsabilités citoyennes et la façon dont le patriotisme s’exprime au 21e siècle.