En observant le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault répondre aux questions lors d’une assemblée communautaire à Mississauga la semaine dernière, la tension dans la salle était palpable. Ce qui avait commencé comme une discussion sur la politique climatique s’est rapidement transformé en un échange passionné sur ce que signifie être Canadien en 2024.
« Nous ne pouvons pas séparer la politique environnementale de notre identité nationale, » a déclaré Guilbeault à l’assemblée d’environ 80 résidents. « Les décisions que nous prenons aujourd’hui reflètent qui nous sommes en tant que Canadiens et ce que nous valorisons. »
Les commentaires du ministre surviennent dans un contexte de débat national croissant sur l’identité canadienne, une conversation qui s’est intensifiée suite aux récentes projections démographiques de Statistique Canada montrant que la population du Canada pourrait atteindre près de 57 millions d’habitants d’ici 2068, principalement grâce à l’immigration.
Pour Marjorie Chen, propriétaire d’une petite entreprise présente à l’assemblée, la question touche de près. « Je suis arrivée ici il y a 15 ans à cause de ce que le Canada représentait – un équilibre entre opportunités et compassion. Maintenant, je crains que nous perdions de vue ce qui rend ce pays si spécial, » m’a-t-elle confié après l’événement.
Ce sentiment reflète une anxiété plus large. Selon un récent sondage d’Angus Reid, 67% des Canadiens croient que le pays traverse une crise d’identité, contre 58% en 2019. Le sondage a révélé des préoccupations traversant les lignes partisanes, bien qu’avec d’importantes variations régionales.
« L’Ouest se sent de plus en plus aliéné de la vision d’Ottawa, » explique Dr. Samantha Rowe, politologue à l’Université de l’Alberta. « Il ne s’agit plus seulement de politiques – mais de visions fondamentalement différentes de ce que le Canada devrait être. »
La position de Guilbeault représente la perspective du gouvernement libéral selon laquelle l’identité canadienne est adaptable et en évolution. « Notre force a toujours résidé dans notre diversité et notre capacité à changer, » a-t-il affirmé, citant le leadership environnemental du Canada comme partie intégrante de son identité mondiale moderne.
Cette vision contraste fortement avec les récentes déclarations du chef conservateur Pierre Poilievre qui met l’accent sur les valeurs traditionnelles et la souveraineté nationale. Lors d’un rassemblement à Regina le mois dernier, Poilievre a déclaré : « Le Canada doit retrouver son identité en tant que nation qui valorise le travail acharné, la responsabilité personnelle et notre patrimoine unique. »
Le débat sur l’identité dépasse la politique partisane et s’étend à la vie quotidienne des Canadiens. À Markham, en Ontario, les réunions du conseil municipal sont devenues des forums de débat passionné sur le développement, l’immigration et le caractère communautaire.
« Il y a dix ans, nous discutions de zonage et de taxes foncières, » note la conseillère Jasmine Singh. « Maintenant, les résidents veulent parler du type de communauté que nous devenons. Ce sont des questions existentielles, pas administratives. »
Les facteurs économiques alimentent cette quête d’identité nationale. Des données récentes du Centre canadien de politiques alternatives montrent que les salaires de la classe moyenne stagnent tandis que les coûts de logement ont augmenté de 43% à l’échelle nationale depuis 2019. Pour beaucoup, la pression financière s’est traduite par une remise en question de l’orientation du pays.
Michael Thompson, un ouvrier de la construction d’Edmonton avec qui j’ai parlé au téléphone, a exprimé sa frustration : « Mon père pouvait se permettre une maison et subvenir aux besoins d’une famille avec un seul revenu. Je fais des heures supplémentaires et peux à peine payer mon loyer. Quelque chose est brisé dans le rêve canadien. »
La crise du logement en particulier est devenue un point névralgique dans le débat identitaire. À Vancouver, où le prix moyen d’une maison dépasse 1,2 million de dollars selon l’Association canadienne de l’immobilier, les forums communautaires présentent souvent des discussions animées sur l’investissement étranger, le développement et qui peut considérer le Canada comme son foyer.
Les perspectives autochtones ajoutent une profondeur cruciale à cette conversation. « C’est ironique d’entendre des débats sur l’identité canadienne sans reconnaître à qui appartient cette terre, » a souligné l’activiste et écrivaine anishinaabe Jennifer McLeod lors d’un récent panel à l’Université de Toronto. « La véritable identité canadienne doit faire face à la fois à notre passé colonial et à notre avenir de réconciliation. »
La politique environnementale – le portefeuille de Guilbeault – est devenue étonnamment centrale dans les questions d’identité. Son controversé projet de loi C-69, mettant à jour les processus d’évaluation environnementale, a été présenté par ses partisans comme protégeant le patrimoine naturel canadien et par ses opposants comme menaçant les emplois du secteur des ressources que beaucoup considèrent comme fondamentaux pour l’identité canadienne.
La conversation sur l’identité se déroule également dans nos institutions culturelles. Le Musée canadien de l’histoire signale une augmentation de 18% de sa fréquentation cette année, les visiteurs passant significativement plus de temps dans les expositions explorant l’identité nationale. La directrice du musée, Caroline Desmarais, note : « Les gens cherchent dans notre histoire commune un contexte pour comprendre les débats actuels. »
Les médias sociaux ont amplifié ces tensions. Une analyse des conversations sur Twitter utilisant le mot-clic #IdentitéCanadienne montre une augmentation de 340% de son utilisation au cours de l’année écoulée, avec un discours hautement polarisé. Le chercheur David Moscrop de l’Université d’Ottawa prévient que « ces plateformes récompensent souvent les voix les plus extrêmes, déformant ce qui est en réalité une conversation nationale nuancée. »
En quittant l’assemblée de Mississauga, j’ai parlé avec William Leblanc, un enseignant à la retraite, qui a offert peut-être la perspective la plus équilibrée : « Le Canada s’est toujours réinventé. Mes parents s’inquiétaient des mêmes choses dans les années 1970. Le fait que nous ayons ce débat ouvertement est en soi quelque chose de distinctement canadien. »
La conversation sur l’identité canadienne s’intensifiera probablement à l’approche des prochaines élections fédérales. Ce qui reste clair, c’est que la question de qui nous sommes en tant que nation résonne profondément chez les Canadiens de toutes régions, générations et affiliations politiques. La réponse, comme le Canada lui-même, continue d’évoluer.