Alors qu’Ottawa se débarrasse des pluies du début de l’été, une révolution économique silencieuse prend forme dans les cercles politiques fédéraux. L’annonce d’hier de l’Initiative d’accélération des projets stratégiques marque le positionnement économique le plus agressif du Premier ministre Justin Trudeau depuis les efforts de relance post-pandémie.
Le programme vise à accélérer l’examen réglementaire des grands projets de ressources et de fabrication dans des délais stricts—un changement radical par rapport à l’approche typiquement prudente du Canada en matière de développement économique.
« Nous ne pouvons pas nous permettre de passer des années à examiner des projets critiques pendant que d’autres pays prennent de l’avance, » a déclaré Trudeau lors d’une rencontre avec des leaders industriels à Hamilton la semaine dernière. « Il ne s’agit pas d’abaisser les normes. Il s’agit de prendre des décisions à la vitesse des affaires. »
L’urgence n’est pas difficile à comprendre. Avec Donald Trump en tête dans plusieurs sondages électoraux américains et menaçant d’imposer des tarifs élevés s’il retourne au pouvoir, l’économie canadienne, dépendante des exportations, fait face à de potentielles ondes de choc. Près de 75% des exportations canadiennes sont destinées aux marchés américains, selon le dernier rapport commercial de Statistique Canada.
La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a reconnu ces préoccupations lors d’un témoignage en comité mardi. « Nous nous préparons à plusieurs scénarios dans la relation commerciale continentale, » a-t-elle déclaré, évitant soigneusement de mentionner Trump par son nom. « La souveraineté économique exige d’avoir des options. »
L’initiative cible 25 « projets stratégiques » annuellement, allant des opérations minières de minéraux critiques dans le Nord de l’Ontario aux installations de fabrication de batteries au Québec. Chacun bénéficiera de délais réglementaires garantis de 18 mois—réduisant de moitié les périodes d’examen typiques.
En coulisses, le calcul semble simple: le Canada a besoin d’un levier économique indépendamment du résultat des élections américaines de novembre. Un haut fonctionnaire libéral, s’exprimant sous couvert d’anonymat, l’a dit franchement: « Nous renforçons notre position avant que les négociations commerciales ne deviennent compliquées. »
Le programme a reçu un soutien inattendu des premiers ministres provinciaux de tout l’éventail politique. Danielle Smith de l’Alberta et Doug Ford de l’Ontario ont immédiatement accueilli favorablement cette initiative fédérale, tandis que David Eby de la Colombie-Britannique a exprimé un optimisme prudent.
« C’est peut-être la première fois depuis des années que nous voyons un tel alignement provincial sur la politique économique, » note Heather McPherson, professeure d’économie canadienne à l’Université Queen’s. « Ils reconnaissent la vulnérabilité commune face aux perturbations commerciales américaines. »
Les groupes environnementaux et certaines communautés autochtones ont tiré la sonnette d’alarme concernant un possible affaiblissement de la surveillance. La Fondation David Suzuki a critiqué l’initiative comme « approuvant automatiquement le développement au détriment d’une consultation significative, » tandis que plusieurs chefs des Premières Nations ont exigé des garanties plus claires concernant la participation au processus accéléré.
Trudeau insiste sur le fait que les normes environnementales restent inchangées. « Nous améliorons le processus, nous n’abaissons pas la barre, » a-t-il souligné pendant la période des questions. Pourtant, la législation comprend des dispositions permettant au cabinet de passer outre certaines exigences d’examen jugées « redondantes » ou « inutilement contraignantes. »
Ce qui est particulièrement frappant dans cette initiative, c’est son adoption d’un positionnement économique longtemps défendu par les critiques conservateurs. Pierre Poilievre plaide depuis des années pour une rationalisation réglementaire similaire, se retrouvant dans la position inconfortable de soutenir la direction tout en critiquant les détails de mise en œuvre.
« Ils ont volé notre stratégie mais ont oublié les pages les plus importantes, » a déclaré Poilievre aux journalistes sur la Colline du Parlement. « La véritable sécurité économique signifie l’indépendance énergétique et des impôts plus bas, pas seulement des approbations plus rapides. »
Les enjeux économiques ne pourraient être plus élevés. Un rapport d’Économie RBC suggère que d’éventuels tarifs imposés par Trump pourraient réduire le PIB du Canada jusqu’à 1,8% en deux ans, affectant près de 400 000 emplois dans les secteurs manufacturier, agricole et des ressources.
Jim Stanford, économiste et directeur du Centre pour l’avenir du travail, considère l’initiative comme pragmatique. « Le Canada est pris entre les impératifs climatiques et les réalités commerciales, » explique-t-il. « Cela semble être une tentative de naviguer entre les deux tout en renforçant la résilience économique. »
Le plan s’accompagne d’importants financements—3,8 milliards de dollars sur cinq ans pour la capacité réglementaire et les infrastructures de soutien. Les projets qualifiés pour le processus accéléré bénéficieront également d’une considération préférentielle pour le portefeuille d’investissement du Fonds de croissance du Canada.
Dans le quartier industriel de Hamilton, où Trudeau a fait son annonce initiale, l’humeur parmi les travailleurs mêle espoir et scepticisme. « Nous avons déjà entendu de grandes promesses, » déclare Miguel Sanchez, un ouvrier sidérurgique chez Dofasco. « Mais si cela signifie que plus de fabrication revient au Canada au lieu de toujours partir vers le sud, je suis tout à fait pour. »
Ce qui est peut-être le plus révélateur, c’est l’accent mis par l’initiative sur les minéraux critiques et la fabrication de technologies propres—des secteurs où l’approvisionnement canadien pourrait s’avérer essentiel aux ambitions industrielles américaines, quel que soit l’occupant de la Maison Blanche.
« C’est une couverture calculée, » observe Goldy Hyder, président du Conseil canadien des affaires. « Ces investissements nous positionnent comme un partenaire économique indispensable tout en renforçant la capacité nationale qui nous rend moins vulnérables aux pressions externes. »
Alors que le Parlement se prépare à la relâche estivale, la mise en œuvre avance rapidement. Les premiers projets pour examen accéléré seront identifiés d’ici septembre, avec des décisions réglementaires attendues avant le cycle budgétaire de l’année prochaine.
Pour un gouvernement souvent critiqué pour avoir privilégié le processus par rapport aux résultats, l’Initiative d’accélération des projets stratégiques représente une adoption inhabituelle du pragmatisme économique. Reste à savoir si elle fournira une isolation suffisante contre les potentielles turbulences commerciales, la question à plusieurs milliards de dollars qui plane sur l’avenir économique du Canada.