Alors que j’observais les représentants fédéraux et provinciaux se serrer la main autour de la table de conférence en bois à Calgary la semaine dernière, j’ai été frappé par le fait que cette réunion inhabituelle portait le poids de décennies de tensions en matière de politique énergétique. Le protocole d’entente signé entre Ottawa et l’Alberta représente ce que beaucoup appellent un tournant dans l’approche fragmentée du Canada en matière de développement énergétique.
« Nous nous parlions sans nous comprendre depuis bien trop longtemps, » m’a confié la première ministre Danielle Smith après la cérémonie, sa voix exprimant à la fois de la prudence et quelque chose qui ressemblait presque à de l’espoir. « Ce cadre nous donne la chance de collaborer sur ce que l’Alberta fait le mieux—le développement énergétique responsable—tout en répondant aux préoccupations du gouvernement fédéral concernant les émissions. »
La Stratégie énergétique nationale du Canada 2024 arrive à un moment critique. Depuis des années, j’ai fait des reportages dans des communautés prises entre les promesses de développement des ressources et les réalités de la crise climatique. À Fort McMurray, j’ai rencontré des travailleurs qui parlent du pétrole comme de leur bouée de sauvetage économique. Dans les territoires des Premières Nations côtières, j’ai écouté des aînés décrire comment les changements climatiques altèrent les systèmes alimentaires ancestraux. Ces perspectives apparemment opposées ont dominé notre conversation nationale sur l’énergie—souvent au détriment de la recherche d’un terrain d’entente.
Le protocole d’entente, facilité en partie par l’ancien gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney, décrit une approche collaborative du développement énergétique qui maintient la compétence provinciale tout en travaillant à l’atteinte des objectifs nationaux d’émissions. L’accord se concentre sur quatre domaines clés: les technologies de captage du carbone, le développement de l’hydrogène, l’extraction des minéraux critiques et l’expansion du réseau électrique.
Selon les données d’Environnement Canada, la production de pétrole et de gaz représente environ 27 pour cent des émissions de gaz à effet de serre du Canada. Ce nouveau cadre ne fuit pas cette réalité, mais plutôt que d’imposer des plafonds d’émissions comme initialement proposé, il crée des structures incitatives pour que les entreprises adoptent des technologies plus propres.
« Cela représente un passage de la confrontation à la coordination, » explique Dr. Monica Gattinger, présidente d’Énergie positive à l’Université d’Ottawa. « Les tentatives précédentes de stratégies énergétiques nationales ont souvent échoué parce qu’elles essayaient d’imposer des approches uniformes dans des contextes régionaux très différents. »
Lors de ma visite à Fort Saskatchewan le mois dernier, la construction était déjà en cours sur ce qui deviendra l’une des plus grandes installations de captage de carbone du Canada. Le projet de l’Alliance Pathways, représentant les principaux producteurs de sables bitumineux, prévoit d’investir 16,5 milliards de dollars dans des infrastructures de captage du carbone qui pourraient réduire les émissions de 10 millions de tonnes par an d’ici 2030.
James Gunning, un tuyauteur travaillant sur le projet, m’a offert sa perspective lors de notre visite du vaste chantier. « Je travaille dans le pétrole et le gaz depuis vingt ans. Il y a cinq ans, je n’aurais jamais cru que je construirais quelque chose comme ça, » a-t-il dit, en montrant l’immense travail de fondation. « Mais mes enfants me demandent constamment ce que nous faisons contre le changement climatique. Cela me semble être une réponse que je peux leur donner. »
Le cadre ne satisfait pas tout le monde. Des organisations environnementales comme la Fondation David Suzuki ont exprimé leur inquiétude quant au fait que l’accord manque d’objectifs spécifiques de réduction des émissions. Pendant ce temps, certaines associations industrielles s’inquiètent de la faisabilité économique des transitions technologiques rapides.
« Nous analysons encore les détails, » déclare Catherine McKenna, ancienne ministre de l’Environnement et maintenant présidente du Groupe d’experts de haut niveau des Nations Unies sur les engagements de neutralité carbone. « Le défi sera de s’assurer que ce cadre a suffisamment de mordant pour entraîner de réelles réductions d’émissions tout en offrant la certitude dont les investisseurs ont besoin. »
La participation autochtone représente une autre dimension cruciale de la stratégie. Le protocole mentionne spécifiquement la création de voies pour la propriété autochtone dans des projets majeurs—quelque chose que les Premières Nations à travers le pays ont de plus en plus exigé.
Pendant mon reportage dans le nord-est de la Colombie-Britannique l’année dernière, j’ai passé du temps avec des membres des Premières Nations de Blueberry River, qui avaient récemment gagné une affaire judiciaire établissant un précédent concernant leur droit de limiter le développement industriel sur leur territoire traditionnel. La chef Judy Desjarlais m’avait alors dit: « Nous ne sommes pas contre le développement, mais nous devons être partenaires dans la façon dont il se produit et bénéficiaires de ce qui provient de notre terre. »
Le nouveau cadre semble reconnaître cette réalité, bien que les détails de mise en œuvre restent vagues.
Les économistes de l’énergie soulignent un autre avantage potentiel: la certitude réglementaire. La réputation du Canada pour ses processus d’approbation longs et imprévisibles a dissuadé les investissements ces dernières années. Le Conseil canadien des affaires estime que des environnements réglementaires incertains ont contribué à plus de 100 milliards de dollars de projets énergétiques reportés ou annulés depuis 2015.
« Ce dont les entreprises ont le plus besoin, c’est de clarté, » explique Martha Hall Findlay, présidente de la Canada West Foundation. « Ce cadre pourrait enfin fournir cela, permettant aux entreprises de prendre des décisions d’investissement à long terme avec plus de confiance. »
Alors que le Canada cherche à se positionner dans un paysage énergétique mondial en rapide évolution, cette nouvelle approche pourrait aider le pays à tirer parti de ses ressources importantes—tant fossiles que renouvelables—tout en naviguant dans la transition complexe vers des émissions plus faibles.
En quittant la cérémonie de signature, je me suis retrouvé à penser à une conversation que j’ai eue avec une jeune militante climatique à Vancouver le mois dernier. « Nous n’avons pas le temps pour des demi-mesures, » m’avait-elle dit, sa voix tendue par l’urgence. Reste à voir si ce nouveau cadre représente un progrès significatif ou une autre réponse retardée à la crise climatique.
Ce qui est clair, c’est que l’avenir énergétique du Canada sera façonné par notre capacité à dépasser les positions bien ancrées et à trouver des voies qui reconnaissent à la fois les réalités économiques et les impératifs environnementaux. Ce protocole d’entente pourrait représenter un premier pas vers cet équilibre difficile.