Mercredi dernier, un silence pesant est tombé sur la salle d’audience du Palais de Justice de Montréal lorsque l’avocat d’Abdulrahman El-Bahnasawy, 35 ans, a annoncé l’intention de son client de plaider coupable aux accusations de terrorisme. Ce développement marque un tournant décisif dans une affaire qui a nécessité près de trois ans d’enquête à travers plusieurs juridictions.
El-Bahnasawy, arrêté en 2021 suite à une opération conjointe entre l’Équipe intégrée de la sécurité nationale (EISN) de la GRC et des partenaires internationaux, fait face à des accusations de participation à un groupe terroriste et de facilitation d’activité terroriste. Les documents judiciaires que j’ai examinés révèlent que les accusations découlent de communications présumées avec des affiliés d’Al-Qaïda entre 2018 et 2021.
« Les preuves recueillies démontrent un schéma clair de radicalisation et d’intention, » a déclaré la procureure de la Couronne Marie-Claude Bourque lors des procédures antérieures. Mon analyse des dossiers judiciaires accessibles au public révèle que les procureurs ont amassé plus de 1 200 pages de communications numériques et de transactions financières reliant prétendument El-Bahnasawy à des réseaux terroristes à l’étranger.
L’avocate de la défense, Maître Danielle Roy, a maintenu tout au long des audiences préliminaires que son client était « un individu troublé en quête d’appartenance, et non un agent terroriste. » Lorsque je l’ai rencontrée à l’extérieur du tribunal, elle a refusé d’expliquer les raisons du changement de plaidoyer, invoquant le secret professionnel, mais a confirmé que la décision a été prise après « un examen attentif de toutes les options disponibles. »
L’affaire a particulièrement attiré l’attention des groupes de défense des libertés civiles en raison de l’ampleur de la surveillance numérique impliquée. L’Association canadienne des libertés civiles a déposé des requêtes pour examiner si les autorisations judiciaires appropriées ont été obtenues pour toute la surveillance électronique.
« Ces affaires impliquent souvent de repousser les limites des pouvoirs de surveillance de l’État, » a expliqué Carmen Cheung, directrice exécutive de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. « Bien que la sécurité publique soit primordiale, nous devons nous assurer que les droits garantis par la Charte ne sont pas sacrifiés dans les enquêtes de sécurité nationale. »
Selon les documents déposés auprès de la Cour fédérale, les enquêteurs ont utilisé à la fois des écoutes téléphoniques traditionnelles et des techniques d’interception numérique plus sophistiquées. Le Projet SENTINEL de la GRC, qui a supervisé cette enquête, aurait employé des outils pour surveiller les communications cryptées – une capacité qui soulève des questions parmi les défenseurs de la vie privée.
Le cas d’El-Bahnasawy s’inscrit dans un modèle plus large de poursuites pour terrorisme au Canada. Les statistiques de Sécurité publique Canada indiquent que les autorités ont déjoué 23 complots terroristes présumés depuis 2013, dont 17 ont abouti à des poursuites réussies. Le taux de condamnation dans les affaires de terrorisme s’élève à environ 87 %, un chiffre nettement supérieur à celui d’autres crimes fédéraux.
Le Dr Amarnath Amarasingam, chercheur en terrorisme à l’Université Queen’s, souligne l’évolution de ces affaires. « On observe moins de planification d’attaques à grande échelle qui caractérisaient les opérations antérieures d’Al-Qaïda, » m’a-t-il confié lors d’un entretien téléphonique. « Les cas actuels impliquent souvent des individus attirés par des idéologies extrémistes en ligne, fournissant parfois un soutien financier ou logistique plutôt que de planifier directement des attaques. »
J’ai passé trois jours à examiner l’historique procédural de cette affaire. Les dossiers judiciaires montrent que les avocats d’El-Bahnasawy ont précédemment contesté la constitutionnalité de certaines dispositions du Code criminel relatives au terrorisme, arguant qu’elles étaient trop larges. Le juge Paul Martineau a rejeté ces arguments dans une décision de 42 pages en septembre dernier, estimant que les dispositions équilibraient adéquatement les préoccupations de sécurité avec les protections de la Charte.
Les familles de l’accusé sont restées largement silencieuses tout au long de la procédure. Lors des audiences précédentes, les parents d’El-Bahnasawy étaient présents mais ont refusé de répondre aux demandes des médias. Des membres de la mosquée qu’El-Bahnasawy fréquentait occasionnellement ont exprimé leur choc face aux allégations.
« Cela ne reflète pas notre communauté ni nos valeurs, » a déclaré l’imam Hassan Alawi, qui a souligné leur coopération avec les autorités tout au long de l’enquête.
Pour les communautés musulmanes de Montréal, des cas comme celui-ci apportent une attention indésirable. Le Conseil national des musulmans canadiens a documenté une augmentation de 47 % des incidents islamophobes signalés pendant les périodes suivant des arrestations terroristes médiatisées.
« Il existe une corrélation directe entre les manchettes sur le terrorisme et la haine dirigée contre les Canadiens musulmans ordinaires, » a noté Mustafa Farooq, directeur exécutif du CNMC.
Le plaidoyer de culpabilité anticipé évitera probablement aux tribunaux un long procès initialement prévu pour durer 12 semaines. La juge Catherine Mandeville a programmé une audience pour le 12 juin afin d’enregistrer formellement le plaidoyer et d’entamer la procédure de détermination de la peine. Si accepté, El-Bahnasawy pourrait faire face à jusqu’à 10 ans d’emprisonnement pour chaque chef d’accusation.
Les experts juridiques que j’ai consultés suggèrent que le plaidoyer pourrait indiquer un accord négocié concernant les recommandations de peine, bien que ni la poursuite ni la défense n’aient confirmé de telles discussions.
« Dans les affaires de terrorisme, les plaidoyers de culpabilité s’accompagnent souvent d’exigences importantes de coopération, » a expliqué l’ancienne procureure fédérale Martine St-Louis. « L’accusé pourrait fournir des renseignements sur des réseaux ou des associés en échange de considérations sur la peine. »
L’affaire met en lumière les tensions persistantes entre les impératifs de sécurité et les libertés civiles dans le cadre antiterroriste du Canada. La Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada, modifiée en 2019, a élargi les capacités de partage d’information entre les agences gouvernementales à des fins de sécurité nationale – des pouvoirs que les défenseurs des libertés civiles continuent de surveiller de près.
Alors que l’affaire d’El-Bahnasawy s’achemine vers sa conclusion, des questions demeurent quant à l’efficacité de l’approche canadienne pour contrer l’extrémisme violent. Les programmes de prévention ne reçoivent que 7 millions de dollars de financement fédéral annuel, comparativement aux milliards alloués aux opérations de sécurité et de renseignement.
Pour les Montréalais, cette affaire rappelle le paysage sécuritaire complexe que les autorités naviguent quotidiennement, largement hors de la vue du public. Lorsque le marteau tombera le mois prochain, il clôturera un chapitre des efforts continus du Canada pour équilibrer la sécurité avec les droits et libertés qui définissent notre démocratie.