Je viens de sortir d’une réunion avec trois fabricants canadiens de chocolat lors d’une conférence de l’industrie à Toronto. En sirotant un café d’un bistro local, je suis frappé par l’ambiance inhabituelle qui règne parmi ces entrepreneurs – un optimisme prudent au milieu des turbulences commerciales mondiales.
« Nous recevons soudainement des appels de détaillants américains qui ne nous accordaient jamais d’attention auparavant, » explique Jean Moreau, fondateur de Chocolat Boréal à Montréal. « Ce n’est pas que nous voulions ces tarifs, mais nous serions fous de ne pas saisir l’opportunité. »
L’opportunité dont parle Moreau vient de la promesse électorale de Donald Trump d’imposer des tarifs généralisés de 10% sur toutes les importations canadiennes et potentiellement de 60% sur les produits chinois s’il revient au pouvoir. Alors que de nombreuses industries se préparent à des perturbations, le secteur artisanal du chocolat canadien se retrouve dans une position inattendue – celle de bénéficiaire potentiel d’une guerre commerciale qu’il n’a jamais demandée.
Les calculs économiques sont simples. Les chocolatiers canadiens ont historiquement eu du mal à concurrencer les importations européennes et les grandes marques américaines qui dominent les marchés nord-américains. Mais les tarifs proposés par Trump modifieraient considérablement la dynamique des prix, particulièrement pour les fabricants de taille moyenne qui s’approvisionnent en cacao sur les mêmes marchés mondiaux que leurs homologues américains.
« Nous faisons les calculs, et avec un avantage de prix de 10% sur les chocolats européens sur le marché américain, nous pourrions tripler nos ventes aux États-Unis en un an, » affirme Victoria Chang, PDG de Pacific Chocolate Works à Vancouver. Son entreprise exporte actuellement environ 15% de sa production vers des boutiques spécialisées à Seattle, Portland et San Francisco.
Les données commerciales de Statistique Canada révèlent que les exportations de chocolat vers les États-Unis sont restées relativement stables au cours de la dernière décennie, oscillant autour de 250 millions de dollars par an. Mais les analystes de l’industrie chez Deloitte Canada prévoient que ce chiffre pourrait grimper à 400 millions de dollars si les concurrents européens font face à de nouvelles barrières tarifaires sur le marché américain.
L’ironie n’échappe pas à ces fabricants. La politique « America First » de Trump pourrait involontairement stimuler une industrie canadienne qui est en concurrence directe avec des producteurs américains comme Hershey et Mars. Pourtant, la situation expose la réalité complexe et interconnectée des chaînes d’approvisionnement nord-américaines qui défient les politiques commerciales simplistes.
Derrière un comptoir en bois vieilli dans son atelier de Toronto, le maître chocolatier Dimitri Konstantopoulos me montre sa dernière création – une tablette de chocolat noir infusée à l’érable conçue spécifiquement pour le marché américain. « Nous les développons depuis des mois. Si ces tarifs sont mis en place, nous serons prêts à agir rapidement, » dit-il en me cassant un morceau à déguster.
Cette préparation n’est pas simplement opportuniste. Les chocolatiers canadiens ont observé avec méfiance la montée des tensions commerciales, et beaucoup se souviennent des batailles tarifaires sous la précédente administration Trump. Cette fois-ci, ils sont déterminés à ne pas être pris au dépourvu.
Les recherches économiques de l’Institut C.D. Howe suggèrent que, bien que les tarifs proposés par Trump nuiraient à l’économie canadienne dans son ensemble, certains secteurs pourraient en bénéficier substantiellement en obtenant des avantages concurrentiels sur le marché américain face aux importations européennes et asiatiques confrontées à des tarifs encore plus élevés.
« Cela crée cet étrange avantage commercial triangulaire, » explique Sophia Williams, analyste en commerce international à l’Université de Toronto. « Le chocolat canadien serait 10% plus cher aux États-Unis, mais le chocolat européen pourrait être 20-25% plus cher si l’on tient compte des tarifs existants plus les nouveaux. Soudainement, le Canada apparaît comme la meilleure option. »
Tous les acteurs de l’industrie chocolatière canadienne ne partagent pas cet optimisme. Les petits producteurs artisanaux s’inquiètent des mesures de rétorsion et des dommages économiques plus larges. « Certes, nous pourrions vendre plus de chocolat, mais qu’en est-il du coût des équipements importés? Qu’en est-il des prix du cacao si le commerce mondial est perturbé? » demande François Leblanc, qui gère une petite production artisanale à Québec.
Ces préoccupations mettent en évidence la nature à double tranchant des politiques protectionnistes. Tout en créant des opportunités pour certains, elles introduisent de l’incertitude pour beaucoup d’autres. La Banque du Canada a déjà averti que des tarifs généralisés pourraient déclencher d’importants chocs économiques qui l’emporteraient sur les gains sectoriels.
Alors que je me prépare à quitter la conférence, Moreau me tend une dernière truffe. « Goûtez ceci – c’est notre spéciale élection américaine, » dit-il avec un sourire malicieux. La coque de chocolat noir cède à une garniture mi-douce, mi-amère. « Nous l’appelons ‘Surprise de guerre commerciale’, » ajoute-t-il. « On ne sait jamais vraiment ce qu’on va obtenir. »
L’aubaine inattendue pour les chocolatiers canadiens révèle les conséquences complexes et souvent contre-intuitives des politiques commerciales brutales. Alors qu’une industrie pourrait potentiellement en bénéficier, de nombreuses autres se préparent à des difficultés – un rappel qu’en matière de commerce mondial, les solutions simplistes produisent rarement des résultats simples.