J’ai passé ces trois derniers jours à naviguer entre des réunions à huis clos à Ottawa et à Washington, où l’atmosphère ne peut être décrite que comme un gel diplomatique profond. Le message des deux capitales est clair : la relation commerciale qui définissait autrefois l’intégration économique nord-américaine subit une transformation fondamentale.
« Ce ne sont plus des tactiques de négociation, » m’a confié hier un haut responsable canadien du commerce, sous couvert d’anonymat car non autorisé à discuter de ces pourparlers sensibles. « Nous assistons à un recalibrage permanent de la relation. »
Cette évaluation survient alors que l’ambassadeur américain au Canada, David Cohen, a fait sa déclaration la plus directe concernant les tarifs douaniers, insistant sur le fait que les droits de douane de Donald Trump sur les exportations canadiennes d’aluminium et d’acier sont désormais des éléments permanents de la relation bilatérale.
« Les tarifs sont là pour rester, » a déclaré Cohen à un groupe de chefs d’entreprise lors d’un forum économique Canada-États-Unis à Toronto. « Cette administration les considère comme des mesures correctives nécessaires, et non comme des jetons de négociation temporaires. »
Cette annonce a envoyé des ondes de choc dans les secteurs manufacturiers canadiens déjà aux prises avec les tarifs de 10 % sur l’aluminium et de 25 % sur l’acier réimposés le mois dernier. Ces droits, initialement mis en œuvre en 2018 avant d’être suspendus dans le cadre de l’accord ACEUM, sont maintenant de retour avec ce que Cohen a décrit comme des « mécanismes d’application renforcés. »
Pour mettre en perspective l’impact économique, j’ai parlé avec Kristen Hopewell, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique mondiale à l’Université de la Colombie-Britannique. « Nous parlons d’environ 3,8 milliards de dollars d’exportations canadiennes touchées annuellement, » a expliqué Hopewell. « Mais les effets secondaires sur les chaînes d’approvisionnement intégrées multiplient considérablement cet impact. »
Les tarifs ont frappé particulièrement fort dans des régions comme Hamilton, en Ontario, où la production d’acier demeure centrale pour l’économie locale. À l’installation principale de Dofasco, le superviseur de quart Marcus Beauregard m’a montré des lignes de production fonctionnant désormais à 70 % de leur capacité.
« Nous avons perdu trois contrats au profit de concurrents américains au cours du seul mois dernier, » a déclaré Beauregard, montrant des équipements inactifs. « Ce ne sont pas que des chiffres sur un tableau. Ce sont de vrais emplois en jeu. »
La réponse du gouvernement canadien a été mesurée mais ferme. La vice-première ministre Chrystia Freeland a annoncé la semaine dernière des tarifs de représailles sur 3,6 milliards de dollars de marchandises américaines, ciblant soigneusement des produits provenant d’États politiquement sensibles comme la Pennsylvanie et le Michigan.
« Le Canada n’est pas le problème, » a déclaré Freeland lors d’une conférence de presse dans une aciérie à Sault Ste. Marie. « Nos industries sont intégrées, nos bases industrielles de défense sont intégrées. Ces tarifs nuisent aux Américains autant qu’aux Canadiens. »
La Maison-Blanche semble toutefois impassible. Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, a défendu les tarifs lors d’un briefing auquel j’ai assisté au Département d’État, les présentant comme faisant partie d’une stratégie plus large pour faire face à la surcapacité mondiale.
« Bien que nous reconnaissions les préoccupations du Canada, nous ne pouvons pas permettre que notre marché devienne une porte dérobée pour des produits étrangers subventionnés, » a déclaré Sullivan. « Il s’agit de préserver la capacité manufacturière américaine, essentielle à notre sécurité nationale. »
Les analyses économiques de l’Institut Peterson d’économie internationale suggèrent que les tarifs coûteront finalement aux consommateurs américains environ 900 000 dollars par emploi sauvé dans l’industrie sidérurgique américaine, le secteur de l’aluminium connaissant des inefficacités similaires.
Ce qui est particulièrement frappant dans cette impasse diplomatique, c’est son contraste avec la rhétorique entourant l’ACEUM, qui était saluée il y a à peine quatre ans comme l’aube d’une nouvelle ère dans les relations commerciales nord-américaines. Aujourd’hui, les mesures protectionnistes se normalisent des deux côtés de la frontière.
Les producteurs canadiens d’aluminium de la région du Saguenay au Québec modifient déjà leurs schémas d’exportation. Dans une installation que j’ai visitée la semaine dernière, Christine Tremblay, directrice de production, m’a montré des expéditions destinées aux marchés européens.
« Nous avons dû nous diversifier rapidement, » a expliqué Tremblay, tandis que des ouvriers chargeaient des lingots d’aluminium sur des wagons. « Les États-Unis représentaient 78 % de notre marché d’exportation l’année dernière. Nous essayons de réduire ce pourcentage à moins de 50 % d’ici la fin de l’année. »
Le froid diplomatique s’étend au-delà des tarifs. Des sources au sein d’Affaires mondiales Canada confirment que les discussions bilatérales sur la sécurité arctique, les minéraux critiques et même la gestion frontalière se sont toutes sensiblement refroidies depuis l’annonce des tarifs.
« On a le sentiment que nous entrons dans une nouvelle normalité dans la relation, » a expliqué l’ancien ambassadeur canadien aux États-Unis, David MacNaughton, que j’ai interviewé par téléphone. « L’époque de l’exceptionnalisme de la relation spéciale s’estompe. Le Canada doit aborder cela comme une négociation commerciale pragmatique. »
Pour les citoyens ordinaires, les conséquences deviennent tangibles. Dans les communautés frontalières comme Windsor, en Ontario, où le commerce transfrontalier définit l’économie locale, l’incertitude est devenue le sentiment dominant.
« Nous avons survécu aux différends automobiles, aux disputes sur le bois d’œuvre, même à la fermeture de la frontière pendant la COVID, » m’a confié Rakesh Naidu, président de la Chambre de commerce de Windsor. « Mais cette fois, c’est différent. Il y a une permanence qui est troublante. »
Alors que les deux nations se préparent à un affrontement commercial prolongé, la plus grande question demeure de savoir si ces mesures atteindront réellement leurs objectifs déclarés de protection des industries nationales ou si elles accéléreront simplement un découplage économique continental qui, en fin de compte, ne sert les intérêts d’aucun des deux pays.
Ce qui est clair, c’est que l’ère d’intégration économique nord-américaine qui définissait le monde post-ALENA cède la place à quelque chose de plus fragmenté et incertain. Et si les déclarations de l’ambassadeur Cohen s’avèrent exactes, ces changements pourraient bien survivre au cycle politique actuel.