Le secteur du capital-risque au Canada affronte d’importantes difficultés en 2024, les premiers chiffres indiquant l’un des environnements de financement les plus difficiles depuis l’essor pandémique. Les investissements du dernier trimestre n’ont totalisé que 940 millions de dollars répartis sur 114 transactions – une baisse de 22 % par rapport à la même période l’an dernier, poursuivant une trajectoire descendante préoccupante.
« Nous observons une véritable course à la qualité », explique Janet Morrison, associée chez Inovia Capital, l’une des plus grandes sociétés de capital-risque du Canada. « Les investisseurs exigent plus de traction, une meilleure économie unitaire et des voies plus claires vers la rentabilité avant de signer des chèques. »
Cette approche prudente survient après que les startups canadiennes ont levé un montant record de 13,6 milliards de dollars en 2021, lorsque les taux d’intérêt nuls et la transformation numérique alimentée par la pandémie ont créé un contexte parfait pour l’investissement technologique. Aujourd’hui, le paysage semble remarquablement différent.
Les taux d’intérêt élevés de la Banque du Canada continuent de remodeler les attentes des investisseurs concernant le risque et le rendement. Lorsque les obligations d’État et les CPG offrent des rendements de 4 à 5 % avec un risque minimal, la barre pour les investissements technologiques spéculatifs devient significativement plus haute. De nombreux investisseurs institutionnels qui s’étaient précipités vers le capital-risque durant l’ère des taux zéro se sont repliés vers des valeurs plus sûres.
L’écosystème technologique de Toronto, qui capte habituellement la part du lion des dollars canadiens de capital-risque, a vu son financement diminuer de 31 % par rapport au premier trimestre 2023. Montréal s’en est tirée légèrement mieux avec une baisse de seulement 17 %, tandis que Vancouver a connu la baisse la plus marquée à 43 % d’une année sur l’autre.
« Ce n’est pas uniquement un phénomène canadien », note Alex Snyder, directeur de recherche chez Startupland. « Nous observons des tendances similaires à travers l’Amérique du Nord, bien que le Canada semble ressentir la pression plus intensément en raison de notre bassin plus restreint d’investisseurs en phase de croissance. »
Le ralentissement paraît plus prononcé dans les financements de stades avancés. Les tours de série C et au-delà sont devenus de plus en plus rares, avec seulement huit complétés au premier trimestre contre 22 durant la même période en 2022. De nombreuses entreprises qui ont levé des fonds à des valorisations élevées en 2021 font maintenant face à la perspective de tours de financement à la baisse ou d’extensions difficiles.
« Nous avions des term sheets à une valorisation de 400 millions de dollars en 2021 », confie un fondateur de fintech torontois qui a souhaité rester anonyme. « Maintenant, nous avons des conversations à moins de la moitié de ce chiffre, malgré un doublement de nos revenus. C’est une pilule difficile à avaler. »
La crise du financement a déclenché une vague de licenciements et de restrictions budgétaires dans l’écosystème des startups canadiennes. Selon les données de Layoffs.fyi, les entreprises technologiques canadiennes ont supprimé plus de 4 500 postes depuis janvier, avec des réductions notables chez Shopify, Wealthsimple, et plusieurs startups d’IA de premier plan qui semblaient autrefois immunisées contre les pressions du marché.
Les investissements en phase précoce montrent plus de résilience, particulièrement dans l’intelligence artificielle. Les tours d’amorçage pour les entreprises d’IA ont en fait augmenté de 12 % d’une année sur l’autre, selon les données préliminaires de l’Association canadienne de capital de risque. Ce point positif reflète l’optimisme continu autour du leadership canadien en recherche sur l’IA, ancré par des institutions comme l’Institut Vector à Toronto et Mila à Montréal.
« Le capital reste abondant pour les applications d’IA véritablement innovantes », affirme Meena Khalili, qui a récemment levé 3,2 millions de dollars pour sa startup torontoise de service client basée sur l’IA. « Mais les investisseurs sont beaucoup plus techniques dans leur diligence raisonnable. L’époque où l’on pouvait lever des millions avec une présentation vague sur l’IA est révolue. »
L’environnement de financement s’est également divisé selon les secteurs. Les startups de technologies climatiques et de santé ont maintenu des niveaux d’investissement relativement stables, tandis que les applications grand public et les logiciels d’entreprise ont connu les baisses les plus importantes. Cette divergence sectorielle reflète à la fois des priorités changeantes et des considérations pratiques concernant l’efficacité du capital.
« Les technologies de santé et climatiques ont souvent des cycles de développement plus longs et des voies réglementaires plus claires », explique Thomas Brouwer, associé directeur chez MaRS IAF. « Ces entreprises brûlent généralement du capital plus lentement que les startups grand public qui tentent d’atteindre une croissance rapide par le biais d’acquisitions coûteuses de clients. »
Le marché difficile a également accentué les disparités régionales. Alors que le corridor Toronto-Waterloo, Montréal et Vancouver continuent d’attirer des investissements, les centres technologiques émergents à Calgary, Edmonton et dans le Canada atlantique ont vu le flux de transactions ralentir considérablement.
« Nous sommes préoccupés par la perte de momentum dans les régions qui commençaient tout juste à bâtir une masse critique », déclare Caroline Pelletier de Startup Canada. « Lorsque le financement se concentre exclusivement dans les centres technologiques établis, nous manquons des opportunités d’exploiter des talents diversifiés et des avantages régionaux. »
Le soutien gouvernemental est devenu de plus en plus crucial alors que le capital privé se retire. Le Fonds stratégique pour l’innovation fédéral et divers programmes provinciaux ont intensifié leurs efforts avec des financements relais pour les entreprises prometteuses prises dans l’écart de financement. Cependant, les dollars publics ne peuvent pas complètement remplacer la validation du marché qui accompagne l’investissement privé.
« Le soutien gouvernemental permet de maintenir les opérations, mais n’aide pas nécessairement les entreprises à devenir plus efficientes en capital ou à trouver l’adéquation produit-marché », prévient Morrison. « Les meilleurs fondateurs utilisent cette période pour se recentrer sur les fondamentaux commerciaux durables plutôt que sur la croissance à tout prix. »
Pour les startups qui lèvent actuellement des fonds, le message des investisseurs est clair : démontrer une croissance efficiente, prolonger la piste d’atterrissage et se concentrer sur la voie vers la rentabilité. L’époque où brûler du capital pour capturer des parts de marché était récompensé par des tours de financement toujours plus importants est révolue.
Malgré le climat difficile, les investisseurs chevronnés voient des opportunités dans cette correction. « Les entreprises qui émergeront de cette période seront fondamentalement des entreprises plus solides », note Snyder. « Nous revenons aux principes fondamentaux de la construction d’entreprise – créer une valeur réelle pour les clients et générer une économie durable. »
Avec des taux d’intérêt qui devraient commencer à se modérer plus tard cette année, certains analystes prédisent une reprise graduelle du financement par capital-risque d’ici 2025. D’ici là, l’écosystème des startups canadiennes fait face à une période de consolidation et de recalibrage après des années de croissance exubérante.
« Chaque cycle technologique connaît ces moments de réinitialisation », conclut Khalili. « Les entrepreneurs qui s’adaptent rapidement à la nouvelle réalité ne feront pas que survivre, mais prospéreront lorsque le marché finira par se retourner. »