Dans une clinique bien éclairée du centre-ville de Toronto, Melissa Chen, 26 ans, parle de sa décision de congeler ses ovocytes – un choix autrefois réservé aux femmes à la fin de la trentaine ou confrontées à des urgences médicales. Cette cadre en marketing représente une démographie croissante de Canadiennes de la génération Z qui prennent leur autonomie reproductive en main bien avant d’être prêtes à avoir des enfants.
« J’ai vu ma sœur aînée lutter avec des problèmes de fertilité à 35 ans, » me confie Chen lors de notre entretien. « Quand mon entreprise a ajouté des avantages sociaux pour la fertilité l’année dernière, j’ai senti que l’univers m’envoyait un signe. Pourquoi attendre jusqu’à ce qu’il y ait de la pression? »
Cette approche préventive de la fertilité représente un changement significatif dans les conversations sur la santé reproductive partout au Canada. Les cliniques de fertilité, de Vancouver à Halifax, signalent une augmentation de 37% des consultations de femmes de moins de 30 ans au cours des deux dernières années, selon les données les plus récentes de la Société canadienne de fertilité et d’andrologie.
La Dre Amina Patel, endocrinologue reproductive au Centre Pacifique de Médecine Reproductive à Vancouver, a été témoin de cette tendance. « Il y a cinq ans, je consultais rarement avec des femmes de moins de 30 ans concernant la congélation d’ovocytes. Maintenant, elles représentent environ un quart de mes patientes, » explique-t-elle.
Qu’est-ce qui motive ce changement générationnel? Les raisons mêlent réalité économique et évolution des attitudes sociales. Statistique Canada rapporte que l’âge moyen des mères primipares a grimpé à 30,7 ans – près de cinq ans de plus que dans les années 1980. Les coûts du logement dans les grands centres urbains ont explosé, le prix moyen d’une maison à Toronto atteignant 1,2 million de dollars cette année selon l’Association canadienne de l’immobilier.
La pression financière n’est pas le seul facteur. Les ambitions de carrière, les études et le désir de trouver le bon partenaire jouent tous un rôle dans le report de la parentalité. Mais contrairement aux générations précédentes qui acceptaient simplement le tic-tac de l’horloge biologique, la génération Z utilise la technologie pour se créer des options.
« Ma mère m’a eue à 24 ans et ne pouvait pas imaginer attendre, » raconte Taylor Williams, une doctorante de 28 ans à Ottawa qui a congelé ses ovocytes l’été dernier. « Mais elle était aussi propriétaire d’une maison à cet âge. Cette réalité n’existe plus pour la plupart d’entre nous. »
Les médias sociaux ont radicalement changé la façon dont ces décisions sont discutées. TikTok et Instagram regorgent de jeunes femmes qui documentent leur parcours de congélation d’ovocytes, des injections d’hormones à la récupération. Le mot-clic #CongelationOvocytesCanada a recueilli plus de 7 millions de vues, créant des communautés là où régnait autrefois le silence.
Cette ouverture marque une autre distinction générationnelle. Les milléniaux ont peut-être été les pionniers de la congélation d’ovocytes comme choix de vie, mais la génération Z a normalisé le fait d’en parler. La santé reproductive est passée des conversations chuchotées dans le cabinet du médecin au discours public.
« La stigmatisation se dissout, » observe la Dre Cynthia Hammond, spécialiste de la fertilité au Centre universitaire de santé McGill. « Les femmes ne ressentent plus de honte à prendre le contrôle de leur calendrier reproductif. C’est peut-être le changement le plus profond que nous observons. »
La réalité financière demeure toutefois un obstacle important. Un seul cycle de congélation d’ovocytes coûte entre 7 000 et 10 000 dollars dans la plupart des cliniques canadiennes, avec des frais annuels de stockage d’environ 500 dollars. Bien que certaines provinces offrent une couverture limitée pour les procédures médicalement nécessaires, la congélation élective d’ovocytes n’est généralement pas couverte par les régimes de santé provinciaux.
Cette dépense crée des écarts d’équité troublants. Les avantages sociaux en matière de fertilité comme ceux de Chen restent concentrés dans les secteurs de la technologie, de la finance et du droit – des industries déjà connues pour leurs salaires plus élevés et leurs meilleurs avantages. Les femmes dans les industries de service, les soins de santé, l’éducation et l’économie à la demande font face à des obstacles substantiels à l’accès.
« Nous voyons un système à deux vitesses se développer, » avertit Rebecca Talia, directrice exécutive de Fertilité Canada. « L’autonomie reproductive ne devrait pas être un produit de luxe, mais c’est de plus en plus vers cela que nous nous dirigeons sans intervention politique. »
Certains employeurs progressistes ont pris note. Une enquête de Mercer Canada a révélé que 23% des grands employeurs canadiens offrent maintenant des avantages en matière de fertilité, contre seulement 7% en 2019. Des entreprises comme Shopify, RBC et Lululemon ont élargi leurs forfaits d’avantages pour inclure les traitements de fertilité, les reconnaissant comme cruciaux pour l’attraction et la rétention des talents.
Les experts en politique familiale suggèrent que cette approche menée par les entreprises laisse trop de femmes de côté. « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une conversation nationale sur l’équité reproductive, » soutient la Dre Elizabeth Morgan, professeure de santé publique à l’Université de la Colombie-Britannique. « Si nous croyons en l’égalité des chances, l’accès aux options de fertilité devrait faire partie de cette équation. »
La communauté médicale reste prudemment favorable. Bien que la technologie de congélation d’ovocytes se soit considérablement améliorée, les taux de réussite varient considérablement. Une femme qui congèle ses ovocytes à 25 ans a environ 50-60% de chances d’avoir une naissance vivante par transfert d’embryon, contre 30-40% pour les ovocytes congelés à 35 ans, selon la Société canadienne de fertilité et d’andrologie.
« Je fais attention à ne pas survendre cela comme une assurance, » souligne la Dre Patel. « C’est plus comme un billet de loterie avec des chances qui s’améliorent. Plus les ovocytes sont jeunes, généralement meilleurs sont les résultats, mais il n’y a jamais de garanties. »
Pour beaucoup de femmes de la génération Z, cependant, même des chances imparfaites semblent meilleures que de tout laisser au hasard. « Je vois cela comme un investissement dans les possibilités, » dit Williams. « Peut-être que je rencontrerai quelqu’un l’année prochaine, peut-être dans dix ans. Peut-être que je déciderai d’avoir un enfant toute seule. Cela me donne de l’espace pour laisser la vie se dérouler. »
Cette perspective reflète des valeurs générationnelles plus larges concernant la planification, l’autonomie et la remise en question des calendriers traditionnels. Contrairement à leurs parents, qui suivaient souvent des scénarios de vie conventionnels, la génération Z semble à l’aise pour concevoir des parcours personnalisés à travers l’âge adulte.
Alors que les politiques rattrapent cette réalité, la conversation continue d’évoluer. Les ministères provinciaux de la santé ont commencé à examiner les options de couverture, tandis que les groupes de défense font pression pour des crédits d’impôt similaires à ceux disponibles pour les dépenses d’adoption.
Pendant ce temps, dans les cliniques à travers le Canada, les visages des patientes de congélation d’ovocytes rajeunissent. Elles arrivent avec des recherches compilées sur TikTok, des recommandations d’amies et une détermination que leurs mères auraient pu trouver surprenante – celle de séparer la reproduction de l’horloge biologique qui a gouverné la vie des femmes depuis des générations.
« La technologie existe, » réfléchit Chen alors que nous concluons notre entretien. « La question n’est pas de savoir si nous devrions l’utiliser, mais qui y a accès, et si nous créerons des systèmes qui rendent ces choix disponibles pour tout le monde, pas seulement pour les privilégiés. »