La première fois que j’ai remarqué que TikTok transformait les habitudes d’investissement des Canadiens, j’interviewais une étudiante de 22 ans de l’Université de Toronto qui avait constitué un portefeuille de 40 000 $ avant même d’obtenir son diplôme. Quand je lui ai demandé où elle avait appris tout ça, elle n’a mentionné ni cours d’économie, ni conseillers bancaires. « J’ai tout appris sur #FinTok, » m’a-t-elle dit, en faisant défiler des vidéos de 60 secondes expliquant les FNB et les stratégies de dividendes.
Cette conversation n’était pas une anomalie. Un segment croissant de jeunes Canadiens contourne complètement les canaux traditionnels d’éducation financière, préférant se tourner vers les médias sociaux pour obtenir des conseils d’investissement. Selon des données récentes de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, 40 % des investisseurs de la génération Z au Canada ont fait leur premier investissement pendant la pandémie, et plus de la moitié d’entre eux citent les médias sociaux comme principale source d’information financière.
« Nous assistons à une démocratisation sans précédent des conseils financiers, » explique Maya Rodriguez, coordinatrice en littératie financière au Money Project de l’Université Ryerson. « Les barrières à l’entrée pour les jeunes investisseurs n’ont jamais été aussi basses, mais la qualité de l’information varie énormément. »
Les plateformes préférées reflètent la préférence de la génération Z pour un contenu visuel et concis. Instagram et TikTok sont en tête, YouTube servant de destination pour des analyses plus approfondies. Les communautés Reddit comme r/PersonalFinanceCanada sont également devenues des carrefours cruciaux où les jeunes Canadiens débattent des stratégies CELI et critiquent les portefeuilles des autres.
Le contenu lui-même est aussi diversifié que les plateformes. Certains créateurs se concentrent sur des sujets spécifiquement canadiens comme la maximisation des cotisations CELI ou la navigation dans les règles du REEE. D’autres promeuvent des stratégies de day trading ou des investissements en cryptomonnaie—souvent avec beaucoup moins de nuance que ne l’exigerait une éducation financière traditionnelle.
Ce qui rend ce changement particulièrement remarquable, c’est la façon dont il modifie les habitudes d’investissement des jeunes Canadiens. Une récente enquête de RBC a révélé que les investisseurs de la génération Z sont 38 % plus susceptibles que les milléniaux de détenir des actions individuelles plutôt que des fonds communs, et deux fois plus susceptibles d’avoir des cryptomonnaies dans leurs portefeuilles—des choix qui correspondent fortement au contenu dominant les médias sociaux financiers.
« Les algorithmes récompensent les affirmations audacieuses et les résultats rapides, » note Preet Banerjee, commentateur en finances personnelles qui a étudié les comportements d’investissement de la génération Z. « Une vidéo de 10 minutes expliquant les intérêts composés sur des décennies n’obtiendra pas le même engagement que quelqu’un qui se vante de rendements prétendument massifs provenant d’opérations d’options risquées. »
Ce biais algorithmique suscite de véritables préoccupations. La Fondation canadienne d’éducation économique rapporte que, bien que les taux de littératie financière chez les 18-24 ans se soient améliorés dans certains domaines, la compréhension de la gestion des risques accuse un retard important. Près de 65 % des investisseurs de la génération Z interrogés ne pouvaient pas expliquer avec précision les principes de diversification, malgré une gestion confiante de leurs propres investissements.
Tout le contenu financier des médias sociaux n’est cependant pas problématique. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario a constaté des tendances positives dans la participation aux CELI et aux REER chez les jeunes Canadiens qui s’engagent avec du contenu financier en ligne. Et des plateformes comme Wealthsimple ont utilisé avec succès l’éducation sur les médias sociaux pour développer la littératie financière parallèlement à leurs offres de produits.
« J’apprends en fait plus sur TikTok que je ne l’ai fait en économie au secondaire, » dit Devon Matthews, un apprenti de 20 ans de Winnipeg qui a commencé à investir l’année dernière. « Mon père avait un conseiller financier qui mettait tout dans des fonds communs à frais élevés. J’ai appris à construire mon propre portefeuille de FNB avec des frais beaucoup plus bas. »
L’expérience de Matthews met en lumière à la fois l’opportunité et le défi de l’éducation financière de la génération Z alimentée par les médias sociaux. Bien qu’il ait raison concernant la sensibilisation aux frais—le RFG moyen des fonds communs canadiens reste d’environ 2 %, comparé à moins de 0,25 % pour de nombreux FNB—il apprend par un média à responsabilité limitée.
Les régulateurs canadiens ont pris note de ce changement. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont lancé leur première campagne TikTok l’année dernière, tentant d’atteindre les jeunes investisseurs avec des informations équilibrées sur les risques d’investissement. Pendant ce temps, les commissions provinciales des valeurs mobilières ont commencé à surveiller les influenceurs financiers populaires pour d’éventuelles violations des exigences d’inscription des conseillers.
Ce qui rend la situation du Canada unique, c’est notre paysage d’investissement spécifique. Les jeunes investisseurs canadiens font face à des considérations fiscales, des pressions immobilières et des problèmes d’accès au marché différents de leurs homologues américains, mais une grande partie du contenu le plus viral provient de créateurs américains peu familiers avec les règles canadiennes.
« Je vois des clients arriver confus au sujet des Roth IRA et des 401(k), qui n’existent même pas ici, » dit Sarah Chen, planificatrice financière basée à Toronto. « Ils appliquent des conseils américains à des circonstances canadiennes, ce qui peut mener à des erreurs coûteuses. »
Le fossé générationnel s’étend au-delà des préférences de plateforme aux philosophies d’investissement. Selon les données de Statistique Canada, les investisseurs de la génération Z montrent un intérêt plus marqué pour l’investissement durable que les générations précédentes, 72 % déclarant que les considérations environnementales influencent leurs choix d’investissement.
Pour l’instant, le phénomène représente à la fois une promesse et un péril. Comme pour la plupart des changements technologiques, l’impact ultime dépendra moins des outils eux-mêmes et davantage de la façon dont nous choisissons collectivement de les utiliser.