Toronto étudie un règlement municipal controversé qui créerait des « zones tampons » autour des lieux de culte, limitant potentiellement les manifestations publiques dans un rayon de 100 mètres des établissements religieux. Le règlement proposé, qui sera soumis au vote du conseil aujourd’hui, a déclenché un débat intense sur l’équilibre entre la liberté religieuse et le droit à la libre expression.
« Ce que nous voyons est une réponse directe aux tensions croissantes devant plusieurs lieux de culte à travers la ville, » a déclaré le conseiller James Pasternak, qui a initialement proposé cette mesure. « Les gens devraient pouvoir pratiquer leur foi sans se sentir intimidés. »
Le règlement fait suite à des incidents survenus devant des synagogues et des mosquées où des manifestants, particulièrement pendant le conflit israélo-palestinien, se sont rassemblés avec des pancartes, des mégaphones et, dans certains cas, ont bloqué les entrées. Des responsables religieux rapportent que leurs fidèles se sentent en danger lorsqu’ils entrent dans leurs propres lieux de culte.
J’ai examiné l’ébauche du règlement de 37 pages et consulté des experts constitutionnels. Le document prévoit des amendes pouvant atteindre 5 000 $ pour les premières infractions et 10 000 $ pour les récidivistes. L’application serait confiée aux agents municipaux et à la police de Toronto.
Les groupes de défense des libertés civiles ont soulevé de sérieuses préoccupations. « Cette approche est potentiellement trop large et risque de criminaliser l’expression politique légitime, » a soutenu Cara Zwibel de l’Association canadienne des libertés civiles. « La Charte protège les rassemblements pacifiques, même lorsque cette expression met les autres mal à l’aise. »
Le fondement juridique de telles restrictions demeure discutable. En 2022, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur une législation similaire concernant les « zones tampons » autour des cliniques d’avortement en Colombie-Britannique, concluant que, bien que des zones tampons étroitement définies puissent être constitutionnelles, elles doivent démontrer des preuves claires de harcèlement et d’interférence directe.
Le rabbin David Mivasair, qui s’oppose au règlement malgré sa position de chef d’une congrégation, m’a confié: « Nous devons faire la distinction entre une manifestation pacifique et du harcèlement réel. La démocratie exige des conversations inconfortables. »
Toronto ne serait pas la première ville canadienne à mettre en œuvre de telles mesures. Calgary a adopté un règlement similaire en mars, bien que sa contestation juridique soit toujours en cours. La Ville d’Ottawa a également envisagé mais finalement rejeté des restrictions comparables après que des conseillers juridiques ont mis en garde contre des vulnérabilités constitutionnelles.
La mairesse Olivia Chow a exprimé un soutien prudent, notant que « nous devons protéger à la fois la liberté religieuse et les droits à la liberté d’expression. » Son bureau a confirmé qu’elle cherche des amendements pour restreindre la portée afin de cibler spécifiquement le harcèlement plutôt que toutes les formes de manifestation.
Lors des consultations publiques le mois dernier, j’ai observé plus de 70 intervenants divisés presque également sur la question. Les leaders religieux soutenaient majoritairement la mesure, tandis que les défenseurs des libertés civiles et certains experts juridiques ont exprimé des réserves.
« De la façon dont ce règlement est actuellement rédigé, une personne tenant silencieusement une pancarte à 90 mètres d’une église pourrait faire face à de lourdes amendes, » a expliqué Abby Deshman, directrice du programme de justice pénale à l’Association canadienne des libertés civiles. « Ce n’est pas proportionné à l’objectif déclaré de prévenir le harcèlement. »
Jamie Cameron, professeure de droit à l’Université métropolitaine de Toronto, a offert un contexte historique: « Les tribunaux ont constamment soutenu que les trottoirs publics sont des espaces privilégiés pour l’expression. Toute restriction doit être minimalement attentatoire et fondée sur des preuves. »
Les partisans évoquent des précédents comme la Loi sur l’accès sécuritaire aux services d’avortement, qui crée des zones tampons autour des cliniques. Cependant, les critiques notent des distinctions importantes—les cliniques d’avortement servent des personnes vulnérables cherchant des soins de santé, tandis que les lieux de culte accueillent souvent des événements communautaires et parfois des discussions politiques.
« Nous ne cherchons pas à faire taire le discours politique, » a souligné l’imam Hassan Amin. « Nous voulons simplement que les gens prient sans se sentir menacés. Les manifestations peuvent avoir lieu ailleurs. »
Si adopté, le règlement entrerait en vigueur immédiatement mais pourrait faire face à des contestations juridiques. La Fondation canadienne de la Constitution a déjà indiqué qu’elle était prête à contester la mesure devant les tribunaux.
Le personnel juridique de la ville a recommandé plusieurs amendements pour renforcer le règlement contre d’éventuelles contestations en vertu de la Charte, notamment en réduisant sa portée pour ne cibler que les conduites perturbatrices plutôt que toutes les manifestations, et en réduisant la zone tampon à 50 mètres.
Alors que le conseil délibère aujourd’hui, il fait face à une question fondamentale: comment équilibrer la protection des communautés religieuses contre le harcèlement tout en préservant le droit démocratique à la manifestation pacifique dans les espaces publics. Quelle que soit leur décision, elle établira probablement un précédent pour d’autres municipalités canadiennes confrontées à des tensions similaires.