Le vrombissement des motoneiges s’estompe tandis qu’Annie Iqaluk et sa famille arrivent à leur cave à glace traditionnelle, creusée profondément dans le pergélisol près d’Igloolik, au Nunavut. Depuis des générations, ces congélateurs naturels—connus localement sous le nom de « silaqquat »—ont préservé la viande de caribou, de phoque et de baleine pendant les courts étés arctiques. Aujourd’hui, Annie découvre ce qu’elle redoutait : des parois fondantes, de l’eau qui s’accumule et l’odeur incontestable de nourriture qui se gâte.
« Ma grand-mère m’a appris comment préparer et conserver notre nourriture traditionnelle ici », me confie Annie, son souffle visible dans l’air froid. « Maintenant, le sol qui n’a jamais dégelé devient instable. Notre sécurité alimentaire ne concerne pas seulement le fait d’avoir assez à manger—c’est une question de préserver notre identité. »
Cette scène, dont j’ai été témoin lors de mon reportage l’été dernier, illustre une crise profonde qui touche les communautés inuites partout dans le Nord canadien. Alors que les températures mondiales augmentent deux fois plus vite dans l’Arctique que la moyenne mondiale, le pergélisol—sol gelé en permanence qui a préservé les sources alimentaires traditionnelles pendant des millénaires—dégèle rapidement.
Les conséquences vont bien au-delà de la viande avariée. Pour les communautés inuites, la nourriture traditionnelle—chassée, pêchée et récoltée sur terre et en mer—représente la continuité culturelle, la sécurité nutritionnelle et la souveraineté dans des régions où les alternatives achetées en magasin peuvent coûter trois à quatre fois plus cher que ce que paient les habitants du Sud.
« Quand nous perdons des méthodes fiables de conservation alimentaire, nous perdons une partie de notre système alimentaire », explique Dr. Shirley Tagalik, une spécialiste inuite de l’éducation qui documente les savoirs traditionnels depuis des décennies. « Il ne s’agit pas seulement de calories—ces aliments connectent nos jeunes aux pratiques culturelles, à la langue et aux liens communautaires formés par la récolte et le partage. »
Le Nord canadien fait face à une tempête parfaite de défis liés au climat. L’évolution des conditions de glace rend les routes de chasse traditionnelles dangereuses ou impraticables. Les schémas migratoires de la faune changent de façon imprévisible. Et maintenant, l’infrastructure même qui préservait les récoltes excédentaires à travers les cycles saisonniers fond littéralement.
Des chercheurs en santé de l’Université de Guelph ont documenté comment cette perturbation affecte les résultats nutritionnels. « Les aliments traditionnels comme le phoque et le caribou fournissent des nutriments essentiels difficiles à remplacer par des alternatives importées », explique la chercheuse en nutrition Tiff-Annie Kenny. Son étude de 2018 dans le Journal of Nutrition a révélé que les jours où les adultes inuits consommaient des aliments traditionnels présentaient une consommation significativement plus élevée de protéines, de fer, de zinc et d’acides gras oméga-3 par rapport aux jours où ils mangeaient principalement des aliments du marché.
Le gouvernement canadien a reconnu ces défis dans son Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord de 2019, qui met l’accent sur la sécurité alimentaire et l’adaptation au climat. Cependant, de nombreux membres des communautés avec qui j’ai parlé ont exprimé leur frustration quant à la lenteur des solutions pratiques atteignant leurs communautés.
À Arviat, le long de la rive ouest de la baie d’Hudson, j’ai rencontré Gordie Kidlapik, qui m’a montré une réponse communautaire à ces défis. En utilisant des conteneurs d’expédition modifiés équipés de systèmes de refroidissement à énergie solaire, sa communauté a créé une approche hybride de la préservation alimentaire qui combine les connaissances traditionnelles avec une technologie résistante au climat.
« Nous n’abandonnons pas nos traditions alimentaires », explique Kidlapik, aidant un jeune chasseur à décharger du caribou fraîchement récolté dans le congélateur communautaire. « Mais nous devons adapter notre façon de les préserver pour les générations futures. »
L’initiative représente une direction prometteuse, mais étendre de telles solutions à travers des communautés éloignées présente des obstacles logistiques et financiers. Le programme fédéral Nutrition Nord, conçu pour subventionner les coûts alimentaires dans les communautés éloignées, a été critiqué pour ne pas soutenir adéquatement les besoins de récolte et de stockage des aliments traditionnels.
Certaines communautés documentent leurs traditions alimentaires avant qu’elles ne soient perdues. À Cambridge Bay, les aînés travaillent avec les jeunes pour enregistrer les méthodes de préparation des aliments, les techniques de conservation et la terminologie inuktitut qui pourrait autrement disparaître avec l’évolution des pratiques.
« Notre langue contient des connaissances sur la terre, les animaux et le climat qui ont évolué pendant des milliers d’années », explique l’aînée Martha Ataataluk. « Quand les jeunes ne peuvent pas participer aux pratiques alimentaires traditionnelles, ils perdent ce vocabulaire spécialisé et la sagesse qu’il contient. »
La crise climatique dans le Nord révèle des interconnexions entre l’environnement, la culture et la santé qui peuvent être difficiles à comprendre pleinement pour les Canadiens du Sud. Pour des communautés comme Igloolik, l’adaptation ne consiste pas simplement à trouver de nouvelles façons de garder la nourriture froide—il s’agit de maintenir une identité et des systèmes de connaissances développés au cours de siècles de vie arctique.
Des recherches de Santé Canada indiquent que l’accès aux aliments traditionnels est fortement corrélé aux résultats de santé physique et mentale dans les communautés nordiques. Les communautés ayant des liens plus forts avec les systèmes alimentaires traditionnels signalent des taux plus faibles de diabète, de maladies cardiaques et d’insécurité alimentaire que celles qui dépendent davantage des aliments du marché.
Debout à côté de la cave à glace en train de fondre d’Annie, je lui demande quelles solutions elle espère. Sa réponse révèle à la fois du pragmatisme et un lien profond avec le territoire.
« Nous avons besoin de soutien pour des congélateurs communautaires qui fonctionnent même lorsque le sol change », dit-elle. « Mais nous avons aussi besoin d’une action climatique qui respecte notre droit à maintenir notre relation avec cette terre. Mes petits-enfants méritent de connaître le goût de l’igunaq (morse fermenté) correctement affiné, préparé comme nos ancêtres nous l’ont enseigné. »
En retournant vers la communauté, Annie me montre des plantes qui émergent dans des zones autrefois gelées en permanence. « Nous sommes un peuple adaptable », observe-t-elle. « Nous avons survécu à la colonisation, aux pensionnats et aux relocalisations forcées. Mais ce changement se produit si rapidement. »
L’histoire du pergélisol qui fond et des traditions alimentaires menacées représente un problème de justice climatique directement lié aux efforts de réconciliation du Canada avec les peuples autochtones. Alors que le Nord continue de se réchauffer, les connaissances préservées dans les caves à glace—ainsi que les aliments qu’elles contiennent—risquent d’être perdues à jamais, à moins que les communautés ne reçoivent le soutien nécessaire pour s’adapter tout en maintenant la continuité culturelle.
Pour Annie et des milliers d’autres personnes à travers l’Arctique canadien, la lutte pour préserver les systèmes alimentaires traditionnels n’est pas seulement une question d’adaptation au changement climatique—c’est une question de maintien d’un mode de vie qui a soutenu des communautés dans l’un des environnements les plus difficiles de la Terre depuis d’innombrables générations.
Le soleil descend vers l’horizon tandis que nous atteignons la communauté, où les chasseurs reviennent avec les prises du jour. Malgré les défis, le cycle de récolte, de préparation et de partage de la nourriture se poursuit—s’adaptant comme il se doit à un Nord en rapide mutation.