Alors que les Canadiens se serrent la ceinture pour les banques alimentaires, où va réellement l’argent?
Alors que les Canadiens puisent plus profondément dans leurs poches pour les dons aux banques alimentaires, nous nous retrouvons à nous demander : où va exactement cet argent? Cette question devient urgente alors que l’insécurité alimentaire touche davantage de foyers à travers le pays.
La récente augmentation des familles ayant besoin d’une aide alimentaire d’urgence a mis en lumière l’infrastructure soutenant notre système national de banques alimentaires. Derrière les bacs de collecte et les campagnes de dons se cache un réseau complexe qui mérite un examen plus approfondi.
« Ce que nous observons actuellement est une pression sans précédent sur les banques alimentaires avec une augmentation de 32 % des visites par rapport aux niveaux pré-pandémiques », explique Kirstin Beardsley, PDG de Banques alimentaires Canada, dans son témoignage devant le comité parlementaire sur l’agriculture le mois dernier. Cela représente près de 2 millions de visites mensuelles aux banques alimentaires à l’échelle nationale.
Pourtant, malgré cette crise, les questions concernant les dépenses administratives restent largement sans réponse. Quelle part de chaque dollar donné fournit réellement de la nourriture aux Canadiens qui ont faim? L’absence de rapports standardisés rend cette détermination étonnamment difficile.
J’ai visité trois banques alimentaires dans la vallée de l’Outaouais la semaine dernière, discutant avec des bénévoles qui expriment leur frustration face au peu d’informations disponibles. « Nous voyons les besoins augmenter dans notre communauté chaque jour », affirme Marian Kelley, bénévole depuis neuf ans. « Mais parfois je me demande si la structure au-dessus de nous pourrait être plus efficace. »
Banques alimentaires Canada sert d’organisme de coordination national, soutenant plus de 5 000 programmes locaux de lutte contre la faim. Leurs états financiers les plus récents montrent que les coûts administratifs consomment environ 14 % des revenus. Bien que ce ne soit pas déraisonnable pour un organisme de bienfaisance national, la variation parmi les organisations provinciales et locales est considérable.
Feed Ontario, l’association provinciale, rapporte dépenser 9 % en administration selon leur rapport annuel 2022. Certaines banques alimentaires locales fonctionnent avec des frais administratifs inférieurs à 5 %, s’appuyant fortement sur le travail bénévole et les espaces donnés.
Cette incohérence rend l’évaluation difficile pour les donateurs potentiels. Contrairement aux programmes gouvernementaux avec des exigences standardisées de rapports, le réseau des banques alimentaires s’est développé comme une mosaïque d’organismes de bienfaisance indépendants avec différents niveaux de transparence.
L’Agence du revenu du Canada exige que les organismes de bienfaisance enregistrés déposent des déclarations annuelles, mais ces documents manquent souvent de détails nécessaires pour une comparaison significative. Certaines organisations regroupent les coûts administratifs et de collecte de fonds, tandis que d’autres les séparent, créant des comparaisons difficiles.
« Les donateurs méritent de la clarté », soutient Dr. Malcolm Burrows, responsable des services consultatifs philanthropiques chez Scotia Wealth Management. « Il n’y a rien d’intrinsèquement mauvais à payer pour une administration de qualité, mais la transparence bâtit la confiance. Sans confiance, tout le système en souffre. »
L’impact s’étend au-delà de la confiance des donateurs. Lorsque les pratiques administratives varient considérablement, cela crée des inégalités dans la prestation de services. Les communautés avec des banques alimentaires bien gérées peuvent recevoir un soutien plus complet que celles desservies par des organisations moins efficaces.
La chercheuse en insécurité alimentaire Dr. Valerie Tarasuk de l’Université de Toronto note cette disparité dans son initiative de recherche PROOF. « La nature inégale des opérations des banques alimentaires signifie que la géographie détermine souvent la qualité de l’aide alimentaire d’urgence », a-t-elle expliqué dans une récente entrevue. « C’est troublant quand on considère l’accès à la nourriture comme un droit fondamental. »
Les données du recensement montrent que l’insécurité alimentaire croît le plus rapidement dans les communautés de taille moyenne où les réductions industrielles ont érodé la stabilité de la classe moyenne. Ces mêmes communautés ont souvent moins de ressources pour établir une gouvernance robuste des banques alimentaires.
Le gouvernement fédéral a engagé 260 millions de dollars par le biais du Fonds des infrastructures alimentaires locales depuis 2019, destiné à renforcer les initiatives de sécurité alimentaire. L’efficacité avec laquelle ces fonds se traduisent en services de première ligne reste floue sans mesures d’impact standardisées.
Les modèles de financement provinciaux ajoutent une autre couche de complexité. Le Québec intègre l’aide alimentaire aux services sociaux plus larges, tandis que l’Alberta s’appuie davantage sur les partenariats d’entreprises. Ces différentes approches produisent des résultats variés qui résistent à une comparaison simple.
À la Banque alimentaire Community Harvest à Nepean, la directrice Sarah Williams démontre comment les fonds donnés se traduisent en soutien. « Ce réfrigérateur de 10 000 $ provient d’une campagne de financement l’année dernière », explique-t-elle, me montrant l’unité maintenant remplie de produits frais. « Avant cela, nous ne pouvions pas offrir de denrées périssables de façon constante. »
De tels exemples tangibles aident les donateurs à comprendre leur impact, mais toutes les organisations ne communiquent pas avec cette clarté. Certaines grandes banques alimentaires maintiennent des réserves substantielles tandis que des opérations plus petites luttent semaine après semaine.
La transparence financière est particulièrement importante pendant les ralentissements économiques lorsque tant les besoins que la générosité augmentent. Pendant la pandémie, les dons aux banques alimentaires ont atteint des niveaux record même si les budgets des ménages se resserraient. Les donateurs faisant de tels sacrifices méritent de savoir que leurs contributions sont gérées de façon responsable.
La solution n’est pas nécessairement la réglementation gouvernementale, qui pourrait surcharger des organisations déjà étirées. Au lieu de cela, le secteur lui-même pourrait développer des normes de rapports volontaires qui équilibrent la responsabilité avec la flexibilité opérationnelle.
Banques alimentaires Canada a pris des mesures dans cette direction, publiant des rapports d’impact qui relient les dons aux résultats. Pourtant, ces efforts ne vont pas jusqu’à créer des attentes uniformes de transparence à travers leur réseau.
L’organisme de surveillance des œuvres de bienfaisance Charity Intelligence Canada évalue les principales banques alimentaires sur leur transparence financière, mais les opérations plus petites échappent souvent à leur portée d’évaluation. Sans normes complètes, les donateurs doivent s’appuyer sur des informations incomplètes lors de leurs décisions de don.
Cela importe car les banques alimentaires représentent plus qu’une aide d’urgence – elles sont devenues des instruments de politique de facto comblant les lacunes de notre filet de sécurité sociale. À ce titre, elles méritent le même examen que nous appliquons aux programmes gouvernementaux.
Les Canadiens contribuent généreusement, avec plus de 40 millions de dollars donnés à Banques alimentaires Canada seul ces dernières années. La majorité provient de donateurs individuels donnant des montants modestes de budgets limités. Leur confiance mérite d’être protégée par une transparence significative.