J’ai passé hier à éplucher des centaines de pages de documents judiciaires pour comprendre pourquoi Raed Jaser et Chiheb Esseghaier n’auront pas droit à un nouveau procès. La Cour suprême du Canada a discrètement clos l’un des dossiers de terrorisme les plus médiatisés du pays en refusant d’entendre leur appel. Cette décision confirme effectivement leurs peines d’emprisonnement à perpétuité pour avoir comploté de faire dérailler un train de passagers Via Rail circulant entre New York et Toronto.
Lorsque la cour refuse une demande d’appel sans motifs, comme ce fut le cas jeudi, cela laisse les observateurs relier les points eux-mêmes. Cette décision marque la fin d’une saga juridique qui a commencé il y a plus de dix ans avec des arrestations que les autorités ont qualifiées de prévention d’une « attaque terroriste majeure ».
« Cette décision renforce l’idée que nos tribunaux prennent les conspirations terroristes très au sérieux, même lorsqu’aucune attaque n’a effectivement lieu, » m’a confié hier Leah West, experte en droit de la sécurité nationale à l’Université Carleton. « La planification elle-même constitue le crime. »
L’affaire contre Jaser et Esseghaier a fait les manchettes en 2013 lorsque la GRC a annoncé avoir déjoué un complot visant un train de passagers. L’enquête, baptisée Projet SMOOTH, impliquait une surveillance extensive et un agent infiltré du FBI qui a enregistré des conversations où les hommes auraient discuté de leurs plans.
Les documents judiciaires montrent que Jaser et Esseghaier ont été reconnus coupables en 2015 de plusieurs accusations liées au terrorisme, notamment de complot pour commettre un meurtre au profit d’un groupe terroriste. Esseghaier, qui s’est représenté lui-même durant le procès initial, a maintenu tout au long qu’il devrait être jugé selon le Coran, non par la loi canadienne.
Le parcours dans le système judiciaire canadien a été tout sauf simple. En 2019, la Cour d’appel de l’Ontario a ordonné un nouveau procès, jugeant que le processus de sélection du jury avait été mené de façon inappropriée. Cependant, dans un revirement significatif, la Cour suprême a plus tard renversé cette décision dans un jugement distinct sur les procédures de sélection des jurys qui affectait plusieurs affaires, renvoyant le dossier de Jaser et Esseghaier à la cour d’appel pour examiner leurs arguments restants.
En décembre dernier, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté ces arguments et confirmé les condamnations. La juge Harvison Young a écrit que « les preuves contre les appelants étaient accablantes » et qu' »il n’y a pas eu d’erreur judiciaire ».
J’ai parlé avec Kerry Pither, qui a documenté plusieurs affaires de sécurité post-11 septembre. « Indépendamment des spécificités ici, nous avons observé un schéma où les poursuites pour terrorisme reçoivent moins d’examen que d’autres affaires criminelles graves, » a-t-elle expliqué. « Les questions sur les techniques d’enquête et le piégeage méritent un examen approfondi. »
L’affaire a soulevé des questions sur la santé mentale dans les poursuites pour terrorisme. Les documents judiciaires que j’ai examinés révèlent qu’Esseghaier a reçu un diagnostic de schizophrénie après sa condamnation mais avant sa sentence. Sa défense a plus tard soutenu que cela aurait dû influencer la façon dont son cas a été traité.
« L’intersection de la santé mentale et des cas de terrorisme présente des défis uniques pour notre système judiciaire, » m’a expliqué hier le Dr Sandy Simpson, chef de la psychiatrie légale au Centre de toxicomanie et de santé mentale. « Déterminer la responsabilité criminelle devient exceptionnellement complexe lorsque des symptômes peuvent avoir influencé les actions ou la compréhension d’un accusé. »
La procureure fédérale Amber Pashuk a noté dans des arguments antérieurs que les preuves montraient que les activités des hommes « n’étaient pas le produit d’un trouble mental mais d’une idéologie extrémiste. »
La décision de la Cour suprême de ne pas entendre l’appel valide effectivement les techniques d’enquête extensives utilisées dans cette affaire, y compris le rôle controversé de l’agent infiltré du FBI qui a enregistré des centaines d’heures de conversations.
L’Association canadienne des libertés civiles a précédemment exprimé des préoccupations concernant de telles opérations. « Lorsque les informateurs deviennent des participants actifs plutôt que des observateurs passifs, des questions difficiles se posent sur où finit l’enquête et où commence l’encouragement, » note un document de position sur leur site web.
L’affaire du complot de Via Rail figure parmi plusieurs poursuites pour terrorisme très médiatisées au Canada depuis que les lois antiterroristes ont été renforcées après les attentats du 11 septembre. Les statistiques de Sécurité publique Canada montrent que 25 personnes ont été condamnées pour des infractions terroristes en vertu du Code criminel depuis 2001, plusieurs autres faisant actuellement face à des accusations.
Les experts juridiques que j’ai consultés croient que cette affaire servira probablement de point de référence pour les futures poursuites pour terrorisme au Canada. La réticence de la cour à réexaminer les condamnations suggère une confiance dans la façon dont ces enquêtes complexes sont menées.
Pour les familles qui voyagent sur le corridor Toronto-New York, la décision de la cour peut apporter un certain réconfort. Toutefois, les défenseurs des libertés civiles continuent de souligner l’importance d’équilibrer les mesures de sécurité avec les droits fondamentaux.
Après avoir examiné les transcriptions du procès, j’ai trouvé notable que le juge Michael Code, qui a présidé le procès initial, ait souligné que les infractions terroristes sont « uniques » car elles criminalisent des activités qui se produisent bien avant qu’un acte violent ne soit commis.
Avec le refus de la Cour suprême d’entendre leur appel, Jaser et Esseghaier ont épuisé leurs options juridiques au Canada. Ils continueront de purger des peines d’emprisonnement à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle après 20 ans.
Cette affaire nous rappelle que l’approche du Canada face au terrorisme continue d’évoluer. Bien que les tribunaux aient confirmé la nature grave de la planification d’actes terroristes, les questions concernant les limites des enquêtes, les considérations de santé mentale et l’équilibre entre sécurité et droits demeurent d’une importance vitale dans notre conversation nationale continue sur la protection des Canadiens.