Le soleil matinal filtrait à peine à travers les édifices gouvernementaux d’Ottawa lorsque je suis entré dans le foyer de la Chambre des communes. La mêlée habituelle après la période des questions avait une énergie distinctement différente hier—tendue, défensive, et indéniablement préoccupée.
Trois jours après la démission dramatique de Steven Guilbeault comme ministre de l’Environnement, les députés libéraux sont sortis de leur réunion d’urgence du caucus avec un message unifié. Trop unifié, peut-être.
« Nous restons solidaires dans notre engagement envers l’action climatique et les valeurs progressistes, » a insisté la députée de Toronto Julie Dabrusin, ajustant son foulard contre le froid de novembre. « Le départ de Steven reflète sa décision personnelle, non pas une fracture au sein de notre parti. »
Mais les éléments de langage soigneusement coordonnés ne pouvaient pas masquer complètement les tensions sous-jacentes qui traversent les rangs libéraux. Des sources au sein du caucus, s’exprimant sous couvert d’anonymat, ont dépeint une image plus complexe d’un parti aux prises avec son identité après huit ans au pouvoir.
« Certains d’entre nous soulèvent des préoccupations concernant notre message climatique depuis des mois, » a confié un député québécois, regardant par-dessus son épaule avant de poursuivre. « La lettre de Guilbeault a simplement exposé publiquement des conversations qui étaient privées. »
La lettre de démission qui a ébranlé Ottawa n’y allait pas de main morte. Guilbeault y critiquait ce qu’il appelait des « compromis troublants » sur la politique climatique et exprimait sa frustration face au récent virage du gouvernement vers le pragmatisme économique. Le document de sept pages, obtenu par Mediawall.news, mentionnait spécifiquement l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain et les approbations de forage en mer comme exemples de recul environnemental.
Le premier ministre Trudeau a réagi rapidement, nommant le député néo-écossais Sean Fraser comme ministre intérimaire de l’Environnement tout en remerciant publiquement Guilbeault pour son service. Lors d’une conférence de presse à Rideau Hall, Trudeau a souligné la continuité. « Nos engagements climatiques demeurent inchangés. Nos objectifs de l’Accord de Paris restent fermes. »
Pourtant, les sondages suggèrent que les électeurs ne sont pas convaincus. Une enquête d’Abacus Data menée pendant le week-end montre que 63% des Canadiens croient que le départ de Guilbeault signale des problèmes plus profonds au sein du gouvernement libéral. Les chiffres sont particulièrement inquiétants au Québec, où le soutien a chuté de sept points de pourcentage depuis octobre.
« Cela ne pouvait pas arriver à un pire moment pour les libéraux, » note le politologue Emmett Macfarlane de l’Université de Waterloo. « Avec des gouvernements provinciaux qui contestent de plus en plus les initiatives fédérales sur le climat et une élection à l’horizon, ils ont besoin de cohérence interne, pas de fractures publiques. »
Au Tim Hortons de la rue Wellington, où le personnel et les bureaucrates se rassemblent pour le café du matin, les conversations révélaient l’impact réel de ce drame politique. Marie Clement, analyste gouvernementale, a soupiré en remuant son café. « J’ai voté libéral à cause de leurs promesses climatiques. Maintenant, je ne sais plus ce qu’ils défendent. »
Les groupes environnementaux n’ont pas tardé à réagir. La Fondation David Suzuki a publié une déclaration louant la « position de principe » de Guilbeault, tandis que Défense environnementale a annoncé des manifestations dans six villes le week-end prochain. Leur slogan prévu—« Des actes, pas des paroles »—touche au cœur du défi de communication du gouvernement.
Le chef conservateur Pierre Poilievre n’a pas tardé à capitaliser sur le moment. Lors d’un événement de style campagne à Saskatoon, il a déclaré que la démission « prouve ce que nous disons depuis longtemps—ce gouvernement dit une chose au Québec et une autre en Alberta. »
Au siège libéral de la rue Metcalfe, l’opération de contrôle des dommages fonctionne à plein régime. Les responsables du parti ont distribué de nouveaux éléments de langage soulignant le système de tarification du carbone et les investissements dans l’énergie propre. « N’oubliez pas de souligner les réalisations tangibles, » peut-on lire dans une note aux députés, soulignant deux fois le mot « tangibles ».
Pour les observateurs politiques chevronnés, les turbulences actuelles rappellent les crises d’identité libérales précédentes. « Cela rappelle les dernières années de Chrétien, » suggère l’ancien directeur des communications du CPM, Patrick Gossage. « Quand un parti reste au pouvoir aussi longtemps, la coalition qui les y a amenés commence inévitablement à s’effilocher. »
De retour à la cafétéria parlementaire, j’aperçois la ministre du Développement économique rural, Gudie Hutchings, en pleine conversation avec deux collègues. Lorsqu’approchée, elle offre une réponse bien rodée: « Chaque gouvernement fait face à des moments de réflexion. Le nôtre ne fait pas exception. »
Cette réflexion porte maintenant sur une question fondamentale: les libéraux peuvent-ils simultanément satisfaire leur base environnementale tout en répondant aux anxiétés économiques? L’énoncé économique du gouvernement, prévu pour le 6 décembre, pourrait fournir des indices.
Des documents budgétaires obtenus par l’entremise de sources indiquent un investissement planifié de 4,3 milliards de dollars dans la fabrication de technologies propres—une réponse directe à la concurrence américaine dans le cadre de la Loi sur la réduction de l’inflation. Reste à savoir si cela satisfera les électeurs soucieux du climat.
Lors de la réunion du caucus d’hier, les députés auraient débattu de la question de savoir s’ils devaient adopter ou se distancer des critiques de Guilbeault. Selon un participant, la discussion s’est envenimée lorsqu’un député des Maritimes a suggéré que le gouvernement était déjà « allé trop loin » sur les restrictions climatiques.
« Nous ne sommes pas aussi divisés que les gens le pensent, » a insisté le député montréalais Anthony Housefather en se précipitant à une réunion de comité. « Le débat sain fait partie de notre tradition. »
Cette tradition fait maintenant face à son test le plus difficile à ce jour. Avec le Parlement qui se lève pour la pause hivernale dans trois semaines et les tensions provinciales qui couvent sur la tarification du carbone, les libéraux doivent rapidement concilier leurs priorités concurrentes.
En quittant la Colline du Parlement, un membre du personnel transportant une pile de brochures nouvellement imprimées sur l’action climatique se hâtait de monter les marches. Les pamphlets présentaient le sourire familier de Trudeau et des promesses audacieuses concernant l’avenir net zéro du Canada. L’ironie n’a échappé à aucun d’entre nous.
Les jours à venir révéleront si le gouvernement libéral peut traverser cette tempête ou si le départ de Guilbeault marque le début d’un exode plus important. Pour l’instant, les députés maintiennent leur front uni—mais en politique, ce qui est dit en public raconte rarement toute l’histoire.