Alors que les nuages d’incertitude internationale s’amoncellent, les dirigeants des universités canadiennes font un plaidoyer déterminé auprès des gouvernements fédéral et provinciaux : investissez maintenant dans l’enseignement supérieur ou risquez de perdre une occasion cruciale d’attirer les talents mondiaux.
« Nous sommes à un moment charnière », affirme Paul Davidson, président d’Universités Canada, l’organisation représentant 97 établissements à travers le pays. « Plusieurs pays qui ont traditionnellement été des destinations éducatives connaissent des bouleversements politiques qui rendent le Canada plus attrayant que jamais. »
Cette fenêtre d’opportunité survient alors que les universités américaines font face à une polarisation croissante, tandis que les établissements britanniques sont aux prises avec les conséquences du Brexit et que les écoles australiennes naviguent dans une politique régionale changeante. Dans ce contexte, les universités canadiennes y voient une chance de se positionner comme des phares de stabilité.
Lors de rencontres avec des représentants gouvernementaux le mois dernier, les présidents d’université ont souligné que des investissements modestes maintenant pourraient générer des rendements significatifs en termes d’innovation, de production de recherche et de croissance économique. Le président de l’Université McGill, Deep Saini, a souligné la position unique du Québec lors de ces discussions.
« Nous offrons quelque chose de vraiment distinctif – des environnements de recherche de classe mondiale aux côtés de communautés multiculturelles dynamiques. Mais nous avons besoin de ressources pour rivaliser mondialement pour les meilleurs cerveaux », a expliqué Saini lors d’un récent forum sur l’éducation à Montréal.
Le moment semble particulièrement urgent pour de nombreux dirigeants académiques. L’élection présidentielle américaine de novembre a créé de l’incertitude concernant les politiques d’immigration qui pourraient affecter les étudiants et chercheurs internationaux. Parallèlement, les tensions sur les campus concernant les conflits géopolitiques ont davantage compliqué le paysage académique dans de nombreux pays.
Les données fédérales montrent que le Canada attire déjà plus de 800 000 étudiants internationaux annuellement, contribuant environ 22 milliards de dollars à l’économie. Pourtant, les dirigeants universitaires soutiennent que nous ne faisons qu’effleurer la surface des domaines de croissance potentiels, particulièrement dans les études supérieures et les postes de recherche.
« Lorsque des chercheurs et étudiants talentueux choisissent le Canada, ils apportent des réseaux, des perspectives et des compétences qui enrichissent nos communautés », note Meric Gertler, président de l’Université de Toronto. « Ils aident à résoudre nos problèmes les plus pressants – du changement climatique à l’innovation en soins de santé. »
Les demandes des dirigeants universitaires ne visent pas simplement à augmenter le nombre d’inscriptions. Leurs propositions se concentrent sur la création de programmes de bourses dédiés, la simplification des parcours d’immigration pour les talents académiques, et l’augmentation du financement de la recherche pour rendre les institutions canadiennes plus compétitives à l’échelle mondiale.
Les universités québécoises font face à la fois à des défis et à des opportunités dans ce paysage. Les exigences linguistiques créent un obstacle supplémentaire pour certaines recrues internationales, mais les universités francophones offrent un attrait unique aux étudiants de pays francophones connaissant des bouleversements politiques.
« Nous devons reconnaître l’identité éducative distincte du Québec tout en assurant que nos institutions puissent rivaliser internationalement », déclare Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval et présidente du Bureau de coopération interuniversitaire, qui représente les universités québécoises.
La province offre déjà des avantages de frais de scolarité pour les étudiants internationaux francophones, mais les dirigeants universitaires suggèrent que ces programmes pourraient être élargis et mieux promus à l’échelle mondiale.
Tout le monde ne soutient pas les efforts élargis de recrutement international. Les critiques soulignent les pressions sur le logement dans les communautés universitaires et se demandent si les ressources ne devraient pas plutôt se concentrer sur les étudiants locaux. D’autres s’inquiètent de l’exode des cerveaux si les diplômés internationaux ne restent pas au Canada.
L’économiste Mikal Skuterud de l’Université de Waterloo reconnaît ces préoccupations mais voit l’image globale. « Les données suggèrent que les étudiants internationaux qui deviennent résidents permanents contribuent significativement plus en impôts et en innovation que tout investissement public initial dans leur éducation », explique-t-il.
Les dirigeants universitaires s’empressent de souligner que le recrutement international devrait compléter, et non remplacer, les engagements envers les étudiants nationaux et les communautés sous-représentées. Plusieurs propositions lient explicitement les initiatives internationales à des opportunités élargies pour les étudiants autochtones et autres groupes en quête d’équité.
La demande financière varie selon l’institution, mais collectivement, les universités cherchent environ 500 millions de dollars d’investissements fédéraux supplémentaires, avec des contributions provinciales équivalentes attendues. Ces fonds soutiendraient des bourses, des postes de recherche et des améliorations d’infrastructure.
« Quand nous regardons ce que les pays concurrents dépensent pour attirer les talents mondiaux, l’investissement du Canada a été modeste », souligne Davidson. « L’Australie, par exemple, a été beaucoup plus agressive dans le positionnement international de ses universités. »
Ce qui rend ce moment particulièrement convaincant est la convergence de l’incertitude internationale avec les défis démographiques croissants du Canada. Avec une population vieillissante et des pénuries de compétences spécifiques dans les secteurs de la santé, de la technologie et de l’énergie verte, l’attraction des talents est devenue une priorité économique nationale.
Le gouvernement de François Legault au Québec s’est montré ouvert aux arguments des universités, particulièrement lorsqu’ils s’alignent avec les besoins du marché du travail de la province. Au niveau fédéral, les réponses initiales des ministres suggèrent un soutien au concept, bien que les engagements de financement restent incertains.
Alors que les dirigeants universitaires poursuivent leur plaidoyer, ils soulignent que les bénéfices s’étendent au-delà des limites des campus. Les partenariats de recherche avec les industries locales, les retombées d’innovation et l’enrichissement culturel des communautés découlent tous d’environnements académiques diversifiés.
« Il ne s’agit pas seulement du prestige universitaire », conclut Saini de McGill. « Il s’agit de positionner le Canada et le Québec pour réussir dans une économie du savoir où le talent est la ressource la plus précieuse. »
Avec les incertitudes mondiales qui ne montrent aucun signe d’apaisement, la question est maintenant de savoir si les gouvernements saisiront ce moment pour positionner les universités canadiennes comme des havres dans la tempête – et si cet investissement produira les rendements promis par les dirigeants universitaires.