J’ai atterri à Ottawa hier matin, accueilli par la fraîcheur printanière qui semblait convenir parfaitement à la délégation scandinave arrivant aujourd’hui. Le roi Carl XVI Gustaf et la reine Silvia de Suède entament leur tournée canadienne de cinq jours dans ce que les initiés appellent une danse diplomatique soigneusement orchestrée, avec des contrats de défense potentiels de plusieurs milliards en jeu.
« Ce n’est pas qu’une simple poignée de main cérémonielle, » m’a confié un haut fonctionnaire d’Affaires mondiales Canada, s’exprimant sous couvert d’anonymat en raison de la sensibilité des négociations en cours. « Les Suédois ont transformé leur industrie de défense d’un acteur régional à une puissance mondiale, et ils veulent une plus grande part de la modernisation militaire canadienne. »
Le timing ne pourrait être plus calculé. Le gouvernement canadien a récemment annoncé son intention d’augmenter les dépenses de défense à 2% du PIB d’ici 2032, ce qui représente environ 40 milliards de dollars supplémentaires en dépenses militaires. Le géant suédois de l’aérospatiale et de la défense, Saab AB, s’est positionné comme un candidat de premier plan pour plusieurs programmes d’approvisionnement majeurs.
En me promenant dans le quartier parlementaire ce matin, j’ai remarqué que les drapeaux suédois et canadiens ornaient déjà la promenade Sussex. Les agents de sécurité effectuaient les dernières vérifications des itinéraires que le couple royal empruntera. La pompe masque des intentions commerciales sérieuses.
Le bureau du ministre de la Défense, Bill Blair, a confirmé que des discussions de haut niveau sur la coopération industrielle auront lieu parallèlement à l’itinéraire royal. « Le Canada valorise l’expertise de la Suède en matière de défense arctique et de technologies militaires durables, » a indiqué le porte-parole de Blair dans un communiqué.
L’adhésion récente de la Suède à l’OTAN a fondamentalement modifié sa position stratégique. N’étant plus neutre, le pays a embrassé la sécurité collective tout en élargissant son empreinte industrielle de défense à l’échelle mondiale. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, les exportations d’armes suédoises ont augmenté de 28% entre 2018 et 2022.
« Ils ont maîtrisé l’approche du soft power, » explique Dre Melissa Jennings, spécialiste de l’approvisionnement en défense à l’Institut canadien des affaires mondiales. « Envoyer leur couple royal signale le respect pour le Canada tout en créant l’atmosphère parfaite pour des discussions commerciales. C’est de la diplomatie avec des dollars attachés. »
L’itinéraire du couple royal révèle la stratégie. Au-delà d’Ottawa, ils visiteront les installations navales d’Halifax et la Base des Forces canadiennes à Trenton, en Ontario – deux sites où des solutions de défense suédoises pourraient potentiellement être déployées.
Dans le port d’Halifax hier, j’ai observé des officiers de marine se préparer pour la visite royale pendant que le NCSM Montréal subissait des travaux d’entretien à proximité. Les vieillissantes frégates de classe Halifax doivent être remplacées dans le cadre du Programme des navires de combat de surface du Canada, représentant le plus grand approvisionnement de l’histoire militaire canadienne à plus de 60 milliards de dollars.
« Les Suédois ne sont pas en lice pour les frégates spécifiquement, » m’explique un analyste du ministère de la Défense nationale, « mais ils visent les systèmes de surveillance, les logiciels de gestion de combat et l’intégration d’armes – tous les composants à forte marge. »
L’avion de chasse Gripen de Saab reste en lice pour le programme de remplacement des chasseurs longtemps retardé du Canada, bien que les observateurs de l’industrie le considèrent comme un outsider face au F-35 de Lockheed Martin. Néanmoins, l’entreprise a proposé des avantages industriels substantiels, y compris des installations de fabrication potentielles au Canada.
Le gouvernement de Justin Trudeau fait face à une pression croissante des alliés de l’OTAN pour accélérer les engagements de dépenses de défense pris lors du sommet de Vilnius. La propre transformation de la défense suédoise – augmentant les dépenses militaires de 1,2% du PIB en 2020 à plus de 2% aujourd’hui – fournit un modèle que le Canada pourrait suivre.
« Nous sommes passés de menaces théoriques à des menaces réelles, » m’a confié l’ambassadeur de Suède au Canada, Urban Ahlin, lors d’un briefing pré-visite. « Notre expérience dans l’augmentation rapide des capacités de défense tout en maintenant nos priorités sociales pourrait être précieuse pour le Canada. »
La visite royale souligne également la coopération arctique croissante. Les deux nations partagent des préoccupations concernant l’augmentation des activités russes dans les eaux nordiques et reconnaissent les implications stratégiques du changement climatique pour les régions précédemment couvertes de glace.
Au centre-ville d’Ottawa, j’ai parlé avec plusieurs représentants de l’industrie canadienne de la défense qui se réunissaient pour des rencontres avec la délégation suédoise. Un dirigeant, qui a demandé l’anonymat pour parler librement de questions concurrentielles, a admis que les Suédois présentent à la fois une opportunité et un défi.
« Ils offrent des modèles de partenariat attractifs – transfert de technologie, production locale, recherche conjointe. Mais ils sont aussi en concurrence avec nos capacités nationales dans certains domaines. C’est compliqué. »
Des recherches d’opinion publique de l’Institut Angus Reid indiquent que 64% des Canadiens soutiennent l’augmentation des dépenses de défense, bien que des préoccupations concernant l’abordabilité persistent. Le modèle suédois de politique industrielle de défense – mettant l’accent sur les technologies à double usage avec des applications civiles – pourrait offrir une approche politiquement acceptable.
Les considérations climatiques figurent également en bonne place dans les discussions. L’armée suédoise a été pionnière dans les pratiques durables comme les carburants synthétiques et les bases économes en énergie. Les Forces armées canadiennes font face à des défis similaires en opérant dans des environnements extrêmes tout en essayant de réduire leur empreinte carbone.
Au-delà de l’agenda formel, des échanges culturels mettront en valeur les connexions entre les nations. Près de 300 000 Canadiens revendiquent un héritage suédois, beaucoup dans les provinces de l’Ouest où le couple royal conclura sa visite.
Alors que le crépuscule tombait sur la capitale hier, les derniers préparatifs de sécurité étaient en cours à Rideau Hall. L’accueil cérémoniel de demain présentera tout l’apparat diplomatique attendu pour la royauté en visite. Derrière les sourires formels et les toasts, cependant, se cache une campagne sophistiquée pour assurer l’influence suédoise dans l’avenir de la défense du Canada.
Pour la Suède, cette mission royale représente la synthèse parfaite du soft power et des affaires concrètes. Pour le Canada, c’est une opportunité de tirer parti de la concurrence entre alliés pour maximiser les avantages de sa modernisation militaire longtemps attendue. Les joyaux de la couronne de cette visite ne seront pas portés – ils seront négociés.