Alors que l’horloge avance vers de potentielles perturbations nationales du courrier, Postes Canada a officiellement demandé à la ministre du Travail, Patty Hajdu, d’intervenir dans le face-à-face de plus en plus tendu avec son plus grand syndicat. La société d’État souhaite maintenant que le gouvernement fédéral impose un vote sur ce qu’elle appelle son « offre finale » – une démarche que les dirigeants syndicaux qualifient de prématurée et de tentative de contourner le processus de négociation collective.
La demande, soumise hier, représente une escalade significative dans les négociations qui se sont étirées sur près de dix mois avec le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), qui représente environ 55 000 facteurs urbains et ruraux à travers le pays.
« Nous avons atteint une impasse critique », a déclaré Doug Ettinger, PDG de Postes Canada, dans un communiqué. « Après des mois de négociations de bonne foi, nous croyons que nos employés méritent le droit de voter directement sur notre offre complète qui répond aux préoccupations clés tout en assurant la durabilité à long terme du service postal. »
L’offre finale de la société comprend des augmentations salariales totalisant 11,5 % sur quatre ans, des avantages améliorés pour les travailleurs temporaires et de nouveaux engagements pour répondre aux préoccupations de sécurité au travail. Cependant, elle maintient des changements à la structure du régime de retraite pour les nouveaux employés – un point d’achoppement que la direction du STTP a identifié à plusieurs reprises comme inacceptable.
Jan Simpson, présidente nationale du STTP, n’a pas mâché ses mots en réponse à cette initiative. « C’est une tentative flagrante de saper le processus de négociation et de diviser nos membres », a déclaré Simpson lors d’une conférence de presse à Ottawa. « Nous restons à la table prêts à négocier une entente équitable qui respecte les travailleurs des postes et le service essentiel qu’ils fournissent aux Canadiens. »
La demande d’intervention gouvernementale survient alors que les deux parties opèrent sous une période de réflexion qui empêche tout arrêt de travail jusqu’à la fin juin. La stratégie de Postes Canada semble conçue pour forcer une action avant la saison estivale du courrier, qui demeure cruciale malgré la baisse du volume de courrier de la société.
La dynamique de ce conflit de travail est particulièrement complexe étant donné les relations traditionnelles du gouvernement libéral avec les syndicats du secteur public. La ministre Hajdu fait maintenant face à un calcul politique délicat – accorder la demande de Postes Canada et potentiellement s’aliéner des alliés syndicaux, ou refuser et risquer un contrecoup public si le service postal est éventuellement perturbé.
Les données de Statistique Canada montrent que malgré la montée des communications numériques, environ 29 % des Canadiens déclarent encore dépendre fortement du service de courrier physique, particulièrement dans les communautés rurales et éloignées. Pour les petites entreprises, la perspective d’une perturbation du courrier en été présente des préoccupations importantes, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante estimant que la grève postale de 2018 a coûté aux petites entreprises une moyenne de 3 000 $ en revenus perdus.
David Camfield, professeur d’études du travail à l’Université du Manitoba, y voit un schéma plus large. « Nous assistons à une tactique patronale de plus en plus courante – utiliser la menace d’intervention gouvernementale pour gagner du levier à la table de négociation », a expliqué Camfield. « La question est de savoir si le gouvernement va jouer le jeu. »
Les défis financiers de Postes Canada fournissent un contexte important pour le conflit. La société a déclaré une perte de 548 millions de dollars avant impôts en 2023, citant la baisse des volumes de courrier et l’augmentation des coûts de livraison comme facteurs principaux. Cependant, son activité de colis continue de croître, avec une augmentation de 6 % des volumes l’an dernier – un point que le syndicat souligne en poussant pour une meilleure rémunération.
Pour de nombreux postiers, le conflit représente plus que de simples salaires et avantages. « Il s’agit de respect pour le travail que nous faisons », déclare Melissa Torres, factrice à Mississauga qui travaille pour Postes Canada depuis 11 ans. « Nous avons livré pendant une pandémie, pendant des catastrophes climatiques. Maintenant, ils veulent grignoter notre sécurité de retraite tandis que les dirigeants continuent de recevoir des primes. »
La demande d’un vote forcé n’est pas sans précédent. En 2018, des tensions similaires ont mené à des grèves tournantes avant que le gouvernement Harper ne légifère le retour au travail des postiers – une mesure plus tard jugée inconstitutionnelle par les tribunaux. Cette histoire pèse probablement lourdement sur le processus décisionnel de la ministre Hajdu.
Les analystes financiers qui suivent le conflit notent qu’une incertitude prolongée pourrait accélérer la migration des clients commerciaux vers des alternatives de livraison privées. « Chaque perturbation du travail pousse plus de volume vers les concurrents », note l’analyste financier de Desjardins, Martin Landry. « Une partie de ces affaires ne revient jamais à Postes Canada. »
Tara MacLean, propriétaire d’une petite entreprise qui gère une boutique en ligne de fournitures artisanales à Halifax, illustre l’anxiété que beaucoup ressentent. « La dernière fois qu’il y a eu une perturbation postale, j’ai perdu 30 % de mes ventes. J’ai commencé à avertir les clients de commander tôt, mais je recherche également des alternatives que j’aurais probablement dû mettre en œuvre il y a des années. »
La demande de vote forcé exige que la ministre Hajdu prenne une décision dans les jours à venir. Si elle est approuvée, les membres du STTP voteraient directement sur l’offre de Postes Canada, contournant potentiellement d’autres négociations. Si elle est rejetée, les parties retourneraient à la table de négociation, avec la menace de perturbations du service estival qui plane davantage.
Alors que les Canadiens observent ce développement, le conflit met en évidence le rôle évolutif des services postaux dans une économie numérique et les tensions continues entre les mandats de service public et la durabilité financière. Le résultat façonnera non seulement la livraison du courrier cet été, mais potentiellement l’avenir même du service postal du Canada.
Pour l’instant, le courrier continue de circuler à travers le pays, mais avec un délai de livraison de plus en plus incertain qui s’étend au-delà des simples colis et lettres.