Lorsque les États-Unis ont suspendu la semaine dernière les importations de bœuf mexicain, citant la détection de bovins infestés par la lucilie bouchère, les répercussions ont rapidement atteint les côtes canadiennes. Pour de nombreux producteurs bovins et responsables agricoles canadiens, cette nouvelle a soulevé des préoccupations économiques et des questions de biosécurité concernant notre propre vulnérabilité face à ce parasite dévastateur.
« Ce n’est pas seulement un problème américain ou mexicain—la nature intégrée des chaînes d’approvisionnement nord-américaines en bœuf signifie que toute menace à la biosécurité exige notre attention immédiate », explique Marie Tremblay, analyste en politique commerciale à l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire.
La lucilie bouchère, scientifiquement connue sous le nom de Cochliomyia hominivorax, représente l’un des parasites les plus redoutés dans l’élevage. Ces parasites pondent leurs œufs dans les plaies ouvertes des animaux à sang chaud, où les larves éclosent et se nourrissent de tissus vivants, causant des dommages graves et potentiellement la mort si elles ne sont pas traitées. Les États-Unis et le Mexique ont consacré des décennies et des millions de dollars à l’éradication de ce parasite sur leurs territoires grâce à des programmes de lâchers d’insectes stériles.
L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a rapidement évalué la situation. « Nous surveillons de près l’évolution de la situation et travaillons avec nos homologues américains et mexicains pour déterminer les mesures appropriées qui protègent le bétail canadien sans perturber inutilement le commerce », m’a déclaré hier lors d’un entretien téléphonique Jean Lemieux, porte-parole de l’ACIA.
Mais le Canada fait-il face à un risque réel? La réponse réside dans la compréhension de notre climat et de nos modèles commerciaux.
La lucilie bouchère prospère dans les régions tropicales et subtropicales, ce qui rend le climat plus frais du Canada naturellement inhospitalier pour ce parasite. La Dre Élisabeth Côté, parasitologiste vétérinaire à l’Université de Guelph, explique que cela offre une certaine protection naturelle : « Nos températures hivernales empêcheraient généralement la lucilie bouchère d’établir des populations permanentes dans la plupart des provinces canadiennes. Cependant, les changements climatiques modifient progressivement ces barrières naturelles. »
Cette protection climatique a historiquement protégé le bétail canadien, mais les experts agricoles mettent en garde contre la complaisance. Le Canada importe environ 230 millions de dollars de bœuf et de produits bovins mexicains chaque année, selon les statistiques d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.
« Bien que le volume soit inférieur à celui qui entre aux États-Unis, nous avons toujours besoin de protocoles d’inspection rigoureux à nos frontières », souligne Patrick Lamoureux, président de l’Association canadienne des éleveurs de bovins. « Un animal infesté qui passerait inaperçu pourrait créer de sérieux problèmes pour les producteurs individuels, même si une épidémie nationale reste improbable. »
Les enjeux économiques pour l’industrie bovine canadienne de 17 milliards de dollars sont importants. Au-delà de la menace directe pour la santé animale, même la perception d’un risque de lucilie bouchère pourrait déclencher des restrictions d’importation de la part de partenaires commerciaux clés comme le Japon et la Corée du Sud, qui maintiennent des normes strictes de biosécurité.
En visitant une exploitation bovine près de Calgary le week-end dernier, j’ai parlé avec Sarah Belanger, éleveuse de deuxième génération, qui a exprimé une inquiétude mesurée. « Nous avons dû nous adapter à tant de défis—conditions météorologiques extrêmes, coûts d’alimentation en hausse, préférences changeantes des consommateurs. Ajouter une menace potentielle de parasite semble accablant. Mais nous avons aussi assez confiance en nos systèmes d’inspection. »
Belanger a souligné que les producteurs canadiens mettent déjà en œuvre des pratiques de routine de gestion des plaies qui aident à prévenir l’infestation par la lucilie bouchère, notamment le traitement rapide des blessures et le choix stratégique du moment pour les procédures comme l’écornage et la castration.
Entre-temps, le gouvernement fédéral a demandé des informations supplémentaires aux autorités mexicaines sur les mesures de confinement. Lors d’une réunion du comité d’agriculture de la Chambre des communes mardi, le ministre de l’Agriculture Laurent Marchand a confirmé que « des mesures de dépistage renforcées » sont mises en œuvre aux points d’entrée pour les produits d’élevage provenant des régions touchées.
Ces mesures comprennent des inspections visuelles plus fréquentes des animaux vivants et des produits carnés, ainsi que des exigences supplémentaires en matière de documentation pour les exportateurs. Le gouvernement n’a pas encore imposé une interdiction complète similaire à l’approche américaine, invoquant la nécessité d’une « prise de décision fondée sur la science et d’une réponse proportionnelle ».
Pour les consommateurs, l’impact immédiat sur les prix du bœuf semble minime. Les analystes de marché de la Banque Nationale suggèrent que la situation actuelle ne provoquera probablement qu’une hausse modeste des prix de 2 à 3 % si les importations mexicaines sont restreintes, car les approvisionnements canadiens restent stables et les achats américains accrus n’affecteraient que marginalement la disponibilité intérieure.
« La plus grande préoccupation serait une perturbation à plus long terme des modèles de commerce nord-américain du bœuf, ce qui pourrait éventuellement conduire à une tarification plus volatile », explique l’analyste de marché Mélanie Lavoie.
Au-delà de l’économie, la situation de la lucilie bouchère met en évidence le défi évolutif du maintien de la biosécurité à l’ère des changements climatiques. Les barrières géographiques traditionnelles qui protégeaient autrefois l’agriculture canadienne s’érodent progressivement à mesure que le réchauffement des températures étend potentiellement l’aire de répartition des parasites auparavant confinés dans les régions plus méridionales.
L’Unité des risques émergents de l’ACIA a publié l’année dernière des modélisations suggérant que d’ici 2050, des parties du sud de l’Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique pourraient devenir marginalement propices à la survie de la lucilie bouchère pendant les mois d’été—bien que toujours pas assez hospitalières pour un établissement à l’année.
Pour l’instant, les responsables canadiens soulignent que le risque reste gérable grâce à la vigilance et à la coopération avec les partenaires internationaux. La réponse démontre l’équilibre délicat entre la protection des troupeaux nationaux et le maintien des relations commerciales essentielles.
Comme me l’a dit Thomas Béliveau, producteur bovin du Manitoba, « Nous avons déjà connu des alertes, de l’ESB à la fièvre aphteuse. Ce qui compte, c’est d’avoir des systèmes prêts à réagir rapidement sans surréagir. C’est aussi la ligne que nous devons suivre ici. »
Bien que les inspecteurs frontaliers américains aient découvert des larves vivantes de lucilie bouchère dans au moins cinq expéditions de bovins mexicains depuis avril, aucun cas n’a été détecté dans les expéditions à destination du Canada. L’ACIA promet des mises à jour au fur et à mesure de l’évolution de la situation.
Pour un pays qui exporte près de la moitié de sa production de bœuf, la réponse du Canada à cette situation émergente nécessitera à la fois une précision scientifique et une finesse diplomatique—protégeant le troupeau tout en préservant les marchés internationaux cruciaux dans un monde agricole de plus en plus interconnecté.